Je ne me suis longtemps pas préoccupée de sciences, laissant cela aux pragmatiques, aux techniciens, aux chirurgiens des rouages de la nature, j'entends celle qui paraît être extérieure à l'homme. Moi je l'appréhendais par le simple truchement de mes sens, et j'estimais que cela suffisait à en extraire la substance, je veux dire, le message.
Et quel est le message ?
Ceux qu'on appelle "scientifiques" prêtent l'oreille aux faits, et rien qu'aux faits. Ils écoutent, avec leurs microphones de technologie sophistiqués, mais bien souvent, n'entendent rien.
A vrai dire, si, ils entendent bien quelque chose : la signification du message. Mais jamais son sens.
Ils comprennent son contenu informationnel, mais ne le ressentent pas. Ils comprennent le déroulement des faits, les causes, les conséquences matérielles, mais jamais ce qu'ils nous racontent sur leur propre beauté.
La beauté. Il n'est même pas question là d'harmonie. Parler d'harmonie serait déjà prétentieux...
La beauté qui transparaît d'un phénomène, humain ou non, d'ailleurs. Resterait à définir si cette beauté n'est pas qu'une élucubration anthropocentrée du prisme humain, mais nous entrerions dans le domaine de la métaphysique, et peut-être n'y a t-il nul besoin de cela pour accorder du sens au sens.
Il existe des personnes qui savent faire la jonction entre la beauté et sa mathématique. Son code source. Il existe des personnes qui voient en chacune des courbures de l'espace-temps, géométrie de notre monde, un monde. Mise en abyme du vertige amoureux, loin, bien plus loin de tout ce qu'il y a de factuel, là où le vert devient noir. Trinh Xuan Thuan, Aurélien Barreau, Jean-Claude Ameisen... Ce ne sont que des contemporains.
Ces scientifiques sont aussi des poètes, ils parlent de sciences avec des mots d'amour et c'est en fait ce qui fait d'eux de vrais scientifiques. Plus que chirurgiens, magiciens au contact desquels la logique se voit transfigurée en grâce dans l'impétueux fracas émotionnel. Émois de la conscience.
Elle entendait de plus en plus distinctement cette voix, cette voix suave et impérieuse en même temps qui lui commandait dans un écho enflammé de s'écouter ; de ne rien lâcher sur ses désirs, si futiles qu'ils puissent paraître. Une voix gorgée de passion se répandait en elle. Une voix qui d'autorité lui intimait l'ordre d'être sa propre chandelle. D'inspiration en aspiration, l'ultime promesse du soi était tenue, caprice demeuré invaincu. Deviens toi-même, c'est ta seule chance.
 Féminisme, droits de l'homme, accès au développement technologique...  Autant de notions revendiquées par nous-autres, occidentaux, à l'égard  des peuples pour les aider à devenir moins arriérés, vous comprenez.

La  liberté est prônée, parfois pour des raisons humanitaires, d'autres  fois pour des raisons purement géostratégiques. Dans tous les cas, cela  interroge sur la latitude de manœuvre culturelle qu'est censée octroyer une  culture à une autre. Ou placer le seuil de tolérance d'un peuple  vis-à-vis d'un autre ?

Peut-être bien nulle part.

Peut-être faudrait-il laisser cheminer un peuple vers sa propre destinée ; vers sa propre liberté. S'approprier lui-même ce qu'il tend à découvrir de la liberté par son propre prisme sensible, 'voyez. 

Le  danger se situe dans le fait, en sensibilisant un peuple à la notion  d'individualité, d'annihiler sa propre substance, ce que d'aucuns  appellent "identité". Occidentaliser un peuple pour le rendre plus libre  ? Dites plutôt tout de suite que vous voulez le coloniser une énième  fois.

Le progressisme érigé en étendard de ce qu'il serait de bon ton pour un peuple. 

Est-ce progressiste que d'imposer le progressisme ? Et surtout, comment au sein d'une culture donnée vivre sa libération individuelle autrement qu'au travers du prisme occidental ? 

L'acculturation,  en dépit des polémiques alimentées par les obsessionnels ou les paranos  s'opère par contamination d'atmosphère ; du côté des "accueillants"  comme des "accueillis". Mais la question est beaucoup plus délicate  lorsqu'il s'agit de relations personnelles, lorsqu'il s'agit de  cohabiter étroitement avec quelqu'un qui adhère, que ce soit revendiqué  ou non, à une autre panoplie de mode d'être au monde. Car, même avec tout  le libre-arbitre du monde, on ne reste jamais qu'enchaîné à certains  réflexes environnementaux.

Qu'en est-il de la tolérance lorsque  vous devez intégrer ou à défaut tolérer dans votre sphère intime des  principes qui outrepassent vos croyances ?

Richesse, oui, mais  aussi décalage nécessitant des réajustements dans l'écoute que peu de  couples auront la patience d'opérer au quotidien. Les codes demandent à  être traduits. Les sensibilités langagières, culturelles et même  raciales demandent à être appréhendées, à défaut d'être toujours  ressenties. Mais au fond, tout est affaire d'âme. Car l'enjeu, par delà  les affaires de barrières communicatives et d'égo est de retrouver cette  connexion d'âme à âme à l'origine de cette union ; lorsqu'elle fait  l'objet d'un choix et non d'une convention !

Quoi  qu'il en soit, l'accélération du métissage à l'oeuvre avec la  technologie n'est pas anodine ; invitation à rassembler tout ce qu'il  peut y avoir de plus lumineux dans la diversité des races et des culture  autour de la grande table de l’ascension de l'humanité.


Par delà la conjugaison, la structure des phrases et même un parler naturel, c'est évidemment de la sensibilité d'une langue dont il est question lorsque l'on veut apprendre une langue.
Apprendre une langue... Mais est-il réellement question d'apprentissage ? Cognitivement parlant, oui, un certain nombre de réflexes sont intégrés à l'écosystème existant, réflexes de sens, réflexes grammaticaux. Mais qu'en est-il des réflexes interfaciaux ? Ceux qui se situent à la frontière entre le conceptuel et le sensitif ?
La sensibilité d'une langue est son cœur, et à l'instar d'une ruche, c'est là où il y fait le plus chaud. Cette chaleur renvoie à ce qui se trouve de plus informel dans une langue. Éprouver cette sensibilité ne demande pas seulement du travail et de la compréhension, mais encore de l'acuité esthétique, celle qui peut faire entrevoir la singularité d'une langue et le caractère irremplaçable de la connotation d'un mot ou d'une expression. "Expression"... Voilà l'implicite-même !
Pris dans les fluctuations codifiées d'un écosystème social et langagier, jamais aucun mot à un instant T ne saurait être coloré de la même façon qu'un autre, onde d'un champ quantique.
Nous ne pouvons résolument pas cloisonner signifiant et signifié. C'est qu'entre les deux existe une zone tampon, une zone aqueuse où ils se confondent dans l'implicite du dessin mental. Et c'est au sein de ce dessin mental que se joue le dessein de la respiration naturelle d'une langue, celle n'ayant plus besoin d'être traduite pour être ressentie. Par delà les codes utiles, c'est d'un certain ton narratif dont nous parlons ici.