Chaque mot, chaque pet, chaque parole, chaque syllabe chaque met est une virgule, ponctuation qui vient rythmer la grande symphonie ; respiration nous faisant entrevoir par là son harmonie. Qu'importe le sens, la sensibilité. Seul compte le flux, le reflux des sensibilités qui mises bout à bout forment un fabuleux collier !

Je veux sortir de l'académisme. Je rêve d'une philosophie percutante, je crois ; qui puisse rendre compte du réel de manière ciselée sans perdre une once de beauté pour autant ; qui est redevenue assez confiante pour s'en remettre aux ressentis avant la lourde sécurité rationnelle, directionnelle. Une philosophie qui pousse sans tuteur, inspirée par une authenticité à laquelle on se relie. Redevenant les enfants graciles de la simplicité, de la lumière.
Rien ni personne ne détenait plus la primauté de son amour, même pas elle. L'échelle de la hiérarchie était pour ainsi dire brinquebalée par les bourrasques du temps qui passe. Elle n'appartenait plus à personne et ne s'appartenait plus elle-même car le temps filait trop vite pour s'y appesantir ; démembrant l'air de rien les certitudes de ce qui semblait encore si évident la veille. L'heure n'était plus à contempler son nombril dans le miroir en s'interrogeant sur l'ombre qui y était projetée mais à la vie, au bel oiseau de vie.
Elle repensait à son enfance. Oui, son enfance. Cette période de la vie qui imprime de son sceau chacune des plissures de l'esprit, chacun des soubresauts environnants. L'enfant est une éponge émotionnelle qui flotte dans cette marée confuse de sensations encore diffuses. Il y nage à tâtons, tentant d'attraper au vol quelques bribes de sens, pourvu que la rencontre ne soit pas trop rude. Dans la clarté curieuse de ses prunelles d'yeux immenses tout ouverts sur la vie, surgissent parfois des ombres. Très vite elles peuvent déteindre de leur ton âcre sur la peinture encore fraîche des représentations bariolées de l'enfant. Un adulte pressé par ses impératifs d'adulte qui renverserait du café sur un dessin posé sur un coin de table. Au fond, ça n'est pas si grave. Rien ne l'est, lorsqu'on a les outils réflexifs, tout compte fait. Mais n'importe quelle créature ne s'étant pas fait les griffes à l'épreuve de la confrontation avec le réel est vulnérable face à lui, elle est marquée.

Voilà le défi de l'incarnation : Comment s'affranchir des traumatismes ayant été si profondément -si sensiblement- enchâssés dans la chair si tendre de l'enfance ?
Autant de conditionnements qu'il faudra aller déterrer à la pelleteuse, d'un air de dire : "tu crois que j't'avais pas vu, bien niché dans mes habitudes de vie ?"  Et l'on s'en va négocier avec ses névroses histoire qu'elles nous foutent un peu la paix, nous rendent la vie plus sucrée. Une psychologie cosmétique, instrumentale. 

Arrivé à l'aube de la quarantaine, on s'aperçoit que ça ne marche pas vraiment sur le long terme. Les schémas poussiéreux s'invitent par la fenêtre, vieux amis envahissants avec qui toutes les solutions ont déjà été envisagées depuis belles lurettes. Oui, on va mieux, mais quand même, relationnellement on voit bien qu'on reproduit toujours les mêmes erreurs, ou que l'on rencontre toujours les mêmes personnes. Alors on s’ausculte plus attentivement, comme l'on palperait une potentielle tumeur sous un sein, en se disant qu'on a peut-être une chance de trouver la solution miracle d'ici à ce qu'on finisse complètement ramolli par l'âge, et bien sûr par toutes les contraintes d'adulte qu'on a amassé au fil de l'existence et qui nous enchainent au quotidien, algues suffocantes qu'elles sont, bibelots encombrants. Dettes humaines. 

A cinquante ans, on ne veut plus sauver le joli dessin in extremis de la flaque de café brûlant. On a pris le parti de l'adulte pressé, pressé comme un citron. Les couleurs ont pris un goût de rance dans l'estomac. Elles se font criardes, en vérité hypocrites, trompeuses : associées à de bien douloureux souvenirs. Nous ne parvenons tout simplement plus à distinguer les couleurs des tâches de souffrance qui leur sont associées dans les souvenirs. A faire, comme on dit avec tant de nonchalance, au détour d'une conversation : "la part des choses". Tout se mélange dans la tête pour ressembler à un gloubi-boulga maronnâtre, que bientôt on s'empressera de balancer avec une amertume qui ne dit pas son nom. Comprenez qu'être adulte ne donne pas droit à la tristesse, et à toute chose qui puisse ressembler à de la faiblesse. On ne veut plus copiner avec le joli, ou plutôt on ne s'en donne plus les moyens. Sans parler de l'esthétique, qui n'est bonne que pour les artistes qui ont gardé comme qui dirait "leur âme d'enfant". 

Une fois, une dame s'est penchée vers moi et m'a glissé, avec une malice non-contenue, presque victorieuse : "Toi, tu dois être une artiste". Et j'ai eu envie de lui balancer qu'elle l'était tout autant que moi et que la seule différence entre nous était son conformisme. Les artistes sont des êtres qui ont surmonté le bien et le mal, la notion de vérité en général. Qui ont éprouvé son insaisissabilité et se sont délestés de toute posture pour n'en retenir que l'intention : retranscrire le ressenti d'harmonie. Parfois, l'un d'entre eux est touché par la grâce, les canaux de transmission d'idées ouvrent une brèche moins étroite sur la lumière.

Une quête vers nous-mêmes, au delà des traumatismes initiatiques ayant forgé les conditionnements. Se retrouver par delà le dépucelage primordial de l'enfant jeté dans l'existence. Une marche arrière, un rembobinage perpétuel vers la cellule souche de l'âme.

Elle repensait à ses poupées. A ses jouets, qu'elle devait ranger après chaque histoire, errements d'une imagination déjà trop sauvage pour être contenue dans une chambre à coucher. La maison était un ancien corps de ferme, plutôt chaleureux. Une maison de gens de classe moyenne voire aisée, spacieuse, mais avec un je ne sais quoi rêche du milieu ouvrier, comme pour rappeler que l'on n'oublie pas d'où l'on vient. D'un côté la jolie réussite sociale immaculée d'un couple fusionnel et de l'autre une grossièreté se permettant à peu près toutes les extravagances de violence, parce qu'il faut bien défouler les instincts quelque part. Compenser. La voisine était une pochtronne et la famille, bonne à fréquenter au compte-goutte, il ne fallait pas trop polluer ce petit coin de paradis. Quant aux amis, quels amis, au juste ? On n'a jamais des amis que pour servir leurs intérêts ! Elle avait vécu à l'ombre de leur complexe de supériorité jusqu'à ses dix-huit ans, à l'écart du monde, se croyant épargnée. Petite princesse blonde ne souffrant d'aucun manque, si ce n'est d'humilité.
La princesse préférait passer plus de temps chez la voisine que dans sa tour d'ivoire. Elle s'arrangeait pour aller dormir chez elle aussi souvent qu'elle le pouvait. Elle aimait bien les cadavres de jouets, la nourriture facile et de basse qualité et les posters de starlettes clinquantes. En fait, ce monde la rassurait. Car elle était comme tous les enfants, ce qu'elle aimait par dessus tout, c'était la simplicité. 

La question qui se pose est la suivante : avec quelle intention choisit-on -je dis bien "choisit-on"- d'aborder l'existence ?

Le théâtre est une question d'intention. Celle d'interpeller. La manière plus ou moins prononcée avec laquelle mimique, gestuelle et intonation seront exécutées est une posture. 

Une sagesse domestiquée déferle sur l'occident depuis début 68. Une sagesse qui a repris à sa sauce le rapport des sociétés traditionnelles à la spiritualité. Une sauce sucrée, prescriptive et individualiste qui prêche avec la vigueur des nouveaux convertis la positive attitude. Il faudrait se développer personnellement. Il faudrait s'acheminer vers un bonheur, tantôt revêtant les couleurs de la pensée alternative, (médecine, éducation, permaculture, véganisme, etc.) tantôt d'un mieux-être dans une société restant résolument post-industrielle. La résilience semble en tout cas être le maître-mot ; on quitte d'anciens logiciels qui seraient déconnectés du "vrai moi" sans pour autant savoir réellement où l'on va. Ateliers de silence, stage de méditation, cours de sobriété heureuse, on institutionnalise la sagesse dans la simplicité. Et plus on l'institutionnalise avec nos outils aseptisés, plus évidemment on perd cette simplicité et la sagesse qui va avec. Le bonheur est pensé comme une cure alors qu'en vérité, il n'a même pas à être pensé. Nous ne faisons qu'imiter des peuples qui, depuis longtemps, ont abandonné la lourdeur des conventions sociales à la politique, dans laquelle une logistique du vivre-ensemble est encore nécessaire, lorsque la mélodie de l'intuition a du mal à se faire entendre au milieu de la foule des intérêts particuliers qui s'entrechoquent.

Avant d'être une croyance, le new age est un fait sociologique ; car les codes sociaux constituent la première chose avec laquelle l'occidental soit aux prises. Preuve en est que nombre d'écoles spirituelles soient fréquentées tout simplement pour recréer du lien. Ca n'est qu'une fois qu'il a conscientisé les connotations que l'occidental peut surmonter les codes qui s'y rapportent et poser un regard allant bien au-delà de ce qu'il est de bon ton de faire ou de ne pas faire, ce qu'il a renommé pudiquement "positif" et "négatif". Discerner le conditionnement pour enfin, pouvoir à nouveau s'écouter. Y a t-il besoin d'une nouvelle religion du bonheur pour cela ? Pas forcément.
Seule l'action directe de l'acuponcture des notes de musique sur les particules subatomiques de l'être arrive à nous dire quelque chose de la vie. Une rencontre d'onde à onde micro-organique.
Plus de mots. Juste le ressenti.
Lorsque tu commences à regarder le monde avec appétit plutôt qu'avec appréhension, tu sais alors que tu n'as plus rien à craindre de lui, mais tout à y recevoir.  

Cet appétit pour toute chose qui s'en va explorer avec la spontanéité d'un enfant et indépendamment des dites contraintes est déjà abondance, générosité dans l'intention, or l'abondance appelle l'abondance. Multiplication de l'esprit sain.