Il est tout simplement étonnant que l'homme, dans une sorte de marche en crabe, par tâtonnements maladroits, puisse, de proche en proche, s'acheminer en direction de la vérité. Il est incroyable que, d'approximation en approximation, d'erreur en erreur, ce biais ne l'entraîne pas définitivement dans le fossé des confins du non-sens. Toutes les pistes ne sont pas trouvées, mais le jeu, pourtant, tient toujours. Le pacte est tacite, certes, mais scellé.
C'est comme si tout l'univers conspirait à ce que nous puissions découvrir ses lois ; nous pardonnant pour ainsi dire nos écueils. Comme un professeur regarde trotter l'élève devant lui pour qu'il apprenne de ses erreurs jusque dans sa chair, l'univers nous regarde errer un temps, sans jamais nous perdre de vue pour autant. C'est que chacun de ses cul-de-sacs épistémologiques comporte une issue. Le labyrinthe se révèle être une spirale.
Peut-être dira t-on que cette remarque est une fable, de la poésie bien naïve pour parler de sciences en ces termes. Cette personnification de l'univers est sans doute poétique. Mais peut-être est-ce là la recherche : la poésie et son assurance frêle, une manière esthétique de claudiquer vers la lumière.
L'énergie cristallisée que l'on appelle "matière" n'est pas moins noble que l'énergie en circulation "libre". Tout est Dieu. Dieu énerve chacune des particules subatomiques de l'univers.
La mode, le sexe ou la cuisine sont tout aussi nobles que ce que l'on appelle "spiritualité". Vous savez, ce nom censé rendre dicible la lumière, mais qui en fait ne désigne ni plus ni moins que l'expérience terrestre dans son ensemble ! 
Tout est "spirituel", tout est lumière et amour, car seul lui recèle la force de mettre en mouvement l'univers. Mais cet amour, parfois, s'ignore, surtout dans l'opacité du monde matériel, et a besoin de piqûres de rappel. Voilà pourquoi on lui érige des religions, des écoles, des temples, des églises, des chapelles, des cultes... Mais peut-être que la plus belle des prières est simplement de laisser transparaître cet amour par sa seule manière d'être. Laisser la lumière traverser l'opacité de la matière pour venir y révéler... La lumière.

Certains considèrent les habits ou le maquillage comme un intérêt superficiel. Utilisés pour cacher, ils le sont, mais pas pour révéler. Ils le sont lorsqu'ils ne traduisent pas au dehors ce qu'il se passe au dedans.

Certains considèrent la nourriture ou le sexe comme des expériences de plaisir (toujours un peu éhontés) à faire en vue d'une évolution future. Ces deux actes se ressemblent beaucoup psychologiquement.

En fin de compte, tout ce qui a attrait à la matière ne serait qu'un marche-pied vers une possible délivrance dans un ailleurs éthéré, un paradis atemporel... Voilà le dualisme.

Mais peut-être sont-ils déjà paradis, déjà spiritualité ? Voilà le panthéisme.

Si Dieu n'est pas une entité distincte de la matière, alors manger ou s'adonner aux plaisirs de la chair peut être considéré comme une prière, une célébration intrinsèque du divin.
Cela ne veut pas dire pour autant que tout peut être fait n'importe comment ; que l'on peut forniquer en se laissant guider par ses seuls sens... L'amour qui s'ignore est dangereux. L'amour sans conscience est aveugle.

Cela veut peut-être juste dire qu'il existe aussi des façons très incarnées de prier, de répandre cette conscience, pour que l'amour, enfin reprenne ses droits naturellement, sans sacralisation ni mise en scène outre mesure. 

Photo : R e n . H a n g

L'anthropologie, dernière née des sciences sociales, a la particularité de considérer l'humanité comme un tout en mêlant biologie, sociologie ou encore linguistique pour appréhender la diversité des systèmes de pensée et de symboles. L'enjeu étant par cette approche englobante de transcender la traditionnelle opposition nature/éducation par la notion de culture. Il s'agit ici de la dimension opérationnelle de cette discipline. 
Dans sa visée conceptuelle, l'anthropologie se traduit par une approche philosophique se voulant elle aussi "totale" ;  celle-ci a pour ambition de révolutionner les sciences sociales en adoptant une position empreinte de la plus grande neutralité possible, de façon à anéantir les codes préexistants ; Cette annihilation est nécessaire pour être à même d'en accueillir d'autres, qui, au fil de l'observation participante, pourront reconstituer un logiciel de pensée à la manière d'un puzzle.

L'anthropologie, en définitive, propose d'adopter un point de vue universel pour appréhender le relativisme des codes culturels. L'anthropologue s'immerge certes dans un système de pensée, mais plus pour y plaquer un prisme analytique, voire dogmatique à la façon des autres sciences sociales ou de la philosophie, par excellence. En cela, la démarche anthropologique est fondamentalement amorale, puisqu'elle fait le pari de l'empathie pour remonter jusqu'aux mécanismes humains.(Démarche ascendante)

Cette démarche totalement ascendante de l'anthropologie s'oppose à celle de la philosophie, et en particulier celle de Kant, qui se revendique d'une morale universelle transcendante prétendant unifier les paradigmes des cultures du monde entier sous une même maxime. (Agis de telle façon que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle de la nature) 

Deux voies menant aux mécanismes qui sous-tendent les actions des hommes, l'une sensible et éminemment flexible, l'autre, analytique et rigide. 


Et si cette approche ne se faisait plus froide qu'elle ne l'était vraiment ? Et si elle se prémunissait, par cet hermétisme, du risque suprême de l'approche anthropologique. Celui de rejeter -dogmatiquement- toute lecture reposant sur la logique, et ainsi de rejeter le discernement qui va avec. 

On a vu beaucoup d'anthropologues adopter le système de codes qu'ils étudiaient. On a vu beaucoup d'anthropologues ne plus savoir faire la distinction rationnelle entre leurs névroses et leur objet d'étude et se perdre ainsi dans une symbolique néfaste pour leur propre équilibre mental. Ainsi, la morale kantienne, sans avoir à être érigée au rang de paradigme absolu avec toute la prétention de l'entreprise, aura au moins le mérite d'agir en garde-fou de la rectitude scientifique.
Quel meilleur vecteur d'enseignement que la passion ?
Elle imprime de son sceau chaque particule subatomique de l'univers.
La connaissance s'arrête là où la passion dévore, là où la marque brûle, consume la membrane ultime, celle du discernement.