"Oh non, pas encore !" Pensa Cindy, enfin c'était le prénom dont l'avait baptisée Laura, qui avait jeté son dévolu sur elle au supermarché deux semaines auparavant. 

“Oh no, once again !” Thought Cindy, that was the name Laura went for, setting her sights on her at the supermarket two weeks before.


Cindy savait trop bien ce qui l'attendait. D'abord, Laura l'extrayait délicatement de sa boîte de plastique. Elle lui touchait ensuite les cheveux, toujours à peu près avec ces mêmes mots : "On dirait de vrais cheveux, c'est incroyaaaaaaaaaaaable !" s'exclamait-elle, saisissant au passage l'occasion de lui gueuler dans les tympans. 

Cindy knew too well what awaited her. First, Laura carefully extracted her from her plastic box. Then she would touch her hair, always with almost the same words: "It looks like real hair, it's increeeeeeeeeeeeeeeedible!" she exclaimed, seizing the opportunity to scream in her eardrums.


Puis arrivait l'étape des essayages, un petit peu moins soft encore. Il fallait à tout prix trouver à Cindy la bonne tenue pour rejoindre Bradley au cinéma. Ils avaient donc rendez-vous sur le lit de Laura dans quelques minutes. (Elle n'avait pas encore reçu le cinéma en question, la livraison tardant un peu à livrer le colis...)

Then came out the fitting stage, a little less gentle though. Cindy had to find the right outfit to join Bradley at the movies. So they were meeting on Laura's bed in a few minutes. (She had not yet received the cinema in question, it was taking a little while to deliver the parcel...)


Du coup, Cindy, comme à l'accoutumée, se faisait brinqueballer entre les petites mains potelées de Laura, qui s'activait autour de son corps aux seins généreux et à la taille calibrée. Jupe en skaï, top transparent, talons à semelles compensées, string panthère, aucune combinaison n'était exclue pour émoustiller Bradou. 

Suddenly, Cindy, as usual, would be tossed around in Laura's little chubby hands, who were busy around her body with its generous breasts and calibrated waist. Skai skirt, transparent top, wedge heels, panther thong, no combination was excluded to get Bradou aroused.


Mais c'est lorsque l'étape des finitions arrivait que l'épreuve était la plus douloureuse. Laura la tartinait alors de gloss et de mascara attrapés dans la coiffeuse de sa mère et se saisissait d'une brosse quatre fois trop grande pour la peigner, ne manquant pas de lui arracher la tête, comme aux ving-huit autres victimes précédentes. 

But it was when the finishing stage arrived that the ordeal was the most painful. Laura would slather her with lip gloss and mascara from her mother's dressing table and grabbed a brush four times too big to comb her, not failing to tear off her head, as with the twenty-eight other previous victims before.


 




REPONSE A URSULA : 

Ursula, 

C'est un peu surpris par ta missive que je prends ma plume pour te répondre. 

Beaucoup disent qu'il ne faut jamais répondre à un message dans le feu de l'action et que la pondération doit être de mise. 

Mais moi, j'm'en fous. Nope, I don't give a fuck about it. La passion est trop forte. I'm craving you my love, and it's been a long time.

Putain, que je t'aime, Ursula. Et ce depuis le premier jour où flambante comme ma nouvelle décapotable, tu as franchi le seuil de ma villa avec vue sur San-Francisco pour vendre ta camelote. 

Ursula, I'm simply longing. And be sure ma belle, qu'une fois que ma lune de miel est terminée, je serai tout à toi, à raison de deux fois par semaine de 5 à 7. 

Your sweetie, 
Brad

 


Mon cher Mehdi, 

Je ne compte plus le nombre de bouteilles de blanc ni de boîtes de Kit et kat que j'ai pu acheter dans ta petite boutique à une certaine heure de la soirée voire de la nuit. 

Ta boutique aux néons multicolores m'aura plus d'une fois sauvé la mise, lorsque plus rien d'autre n'était ouvert pour assouvir mes besoins nocturnes. Et je ne parle même pas de Mistigris qui c'est sûr, te regrettera aussi. 

Bref Mehdi, je te souhaite une bonne retraite et j'espère que ta boutique restera ouverte. Un coup de blanc à 3h du mat', ça n'a pas de prix. 


 Jordan s'était découvert une passion pour le foot sur le tard. Ses parents, cadres tous les deux, trouvaient ce sport abrutissant et avaient destiné leur fils à quelques activités extra-scolaires disons moins triviales que ce sport où les joueurs avaient l'air de courir comme des chiens après une baballe. 

Mais voilà qu'un jour comme les autres, en attendant le bus scolaire, il avait été convié par les "racailles du quartier" (c'est comme cela que les surnommaient ses parents) à donner un coup dans ledit ballon. Il y avait en effet un skate-park ainsi qu'un city stade non loin de l'arrêt de bus. Ces derniers étaient tous deux recouverts de graphittis aux messages sans équivoque : "Nik ta mere", "Kader jvai tplanté", "Mor aux feuj", etc, etc. 

Et les poubelles de détritus qui jalonnaient les allées de ces endroits n'étaient pas pour rassurer non plus, lui qui ne connaissait presque que les intérieurs immaculés de la maison familiale et de l'appartement qu'ils possédaient sur la côté atlantique. Presque, car il se trouve que Jordan allait à l'école publique, se retrouvant ainsi confronté régulièrement aux odeurs de pipi des toilettes pour garçons. 

Eh oui, même avec un bon réseau de contacts, que voulez-vous, on arrive pas forcément à échapper à la carte scolaire ! 

Mais voilà que les habitués du city-stade, qui pour quelques-uns étaient dans sa classe, le mettaient au défi de "jouer à la baballe", comme le disait son père d'un ton condescendant. 

- Alors le blanc, y paraît que t'es bon au tennis alors montre c'que t'as dans l'ventre" lui lança Mamadou en riant. 

Jordan prétexta que le bus n'allait pas tarder à arriver et que de toute façon, il n'aimait pas le foot. 

- On t'a pas demandé si t'aimait, tête de bite, tu viens ou sinon on te banane ta Apple watch. Lui dit fermement Maxime, le leader du groupe. 

Jordan regarda sa montre à 870 euros. Bon, effectivement, il valait peut-être mieux se plier à leurs désideratas. 

- OK, qu'est-ce que vous voulez que je fasse ?

- Vas-y tu mets 3 buts sinon tu nous donnes 20 euros. Lui lança Farid. 

Trois buts ? Impossible, Jordan ne connaissait même pas les rudiments du football. Il s'exécuta quand même sans se faire prier. 20 euuros n'équivalait même pas à son argent de poche hebdomadaire et puis ils étaient quand même six contre lui... 

Et c'est comme cela que Jordan s'intégra au monde, découvrant de nouvelles personnes au fil des tournois de rue qui avaient lieu chaque semaine un peu dans tous Toulouse qu'il explorait maintenant allègrement. Lui qui avait pourtant appris dans le manuel d'histoire-géographie que lui avait offert sa tante pour Noël que les tournois de foot dans la rue, c'était un truc de bidonvilles, de favellas. 

C'est ainsi qu'il prit goût à ce sport, pas tant pour le sport lui-même que pour la liberté qu'il lui apportait d'ailleurs, et le fait de parcourir de nouveaux possibles... 

Un tournoi se finissait un peu plus tard un jeudi soir ? Pas grave, il prétextait que le bus était en retard pour la troisième fois de la semaine, ou qu'il préférait rester en salle d'études pour potasser les mathématiques, son talon d'Achille. 

- Tu deviens trop studieux mon chéri, j'ai peur que ta santé en pâtisse, lui glissa  un jour sa mère, pas très convaincue par ses propres propos, flairant déjà un peu l'embrouille... 

Jordan, qui ne cherchait rien d'autre qu'un peu d'air frais à l'extérieur du lavage de cerveau familial ambiant ne le savait pas, mais il avait créé l'impensable. Il avait franchi les barrières sociales comme on enjambe un cheval d'arçon. 

 Petite barbe étudiée. Lunettes en écailles reposant sur un nez dont la narine avait été perçée deux semaines auparavant. Regard impassible. Ton toujours un peu désabusé, phrases teintées de haine froide. Sourire toujours prêt à se dessiner aux coins des lèvres pour indiquer que malgré sa petite vingtaine, il n'était pas dupe et déjà aguerri. Mais aguerri à quoi, au juste ? 

Little studied beard. Tortoiseshell glasses on a nose whose nostril had been pierced two weeks ago. Impassive gaze. The tone of voice always a little disillusioned, sentences tinged with cold hatred. A smile always ready to appear at the corners of his lips to indicate that despite his early twenties, he was not fooled and already seasoned. But seasoned to what, exactly ?


Aux soirées étudiantes de Paul Sabatier ? 

Au poulet tikka trois fois trop cher des halles de la Cartoucherie où il allait, chaque dimanche, déjeuner avec sa mère ? 

Au ronronnement de son Mcbook pro ? 

To the Paul Sabatier's student parties?

To the three times overpriced chicken tikka from Les halles de la Cartoucherie, where he went every Sunday for lunch with his mother?

To the purring of his Mcbook pro ?


Jocelin avait presque l'air suffisant, au comptoir de cette brasserie où il prenait les commandes des clients d'une classe sociale moyenne-supérieure. Il avait presque l'air d'un matelot appuyé aux rebords d'un bateau, contemplant le flot de la marée humaine s'acheminant vers les tables, d'un air de défi. Mais quel défi, au juste ? 

Jocelin almost looked smug at the counter of this brasserie where he took orders from customers from an upper-middle social class. He almost looked like a sailor leaning on the edges of a boat, contemplating the flow of the human tide heading towards the tables, with an air of defiance. But what challenge, exactly ?


Celui de se lever à 7h du matin pour faire l'ouverture de la brasserie ? 

Celui de devoir parfois acheter des produits en voie de péremption en fin de mois pour ne pas finir dans le rouge ? 

Celui de devoir attendre le samedi soir pour se bourrer la gueule ? 

That of getting up at 7 a.m. to open the brasserie ?

That of sometimes having to buy products that are about to expire at the end of the month so as not to end up in the red ?

That of having to wait until Saturday evening to get drunk ?


Non, vraiment, Jocelin n'était pas à plaindre. Habitant un pays occidentalisé et qui plus est dans une ville dont la douceur de vivre n'était plus à prouver, quel était son problème, à celui-là ? 

Et pourtant l'insatisfaction pouvait se lire dans son regard, et aussi un peu dans tous ceux de ses collègues, de sa génération eux aussi. Comme un regard insatisfait du propre climat de froideur qu'ils instauraient de par leur attitude faussement détachée, faussement aux abonnés-absents... Des émotions. 

No, really, Jocelin wasn't to be pitied. Living in a westernized country and moreover, in a city whose gentle way of life was no longer in doubt, what was his problem ?

And yet dissatisfaction could be read in his eyes, as well as for those of his colleagues, of his generation too. Like a look of dissatisfaction with the own climate of coldness that they established through their falsely detached attitude... From their emotions.  


Mais après tout, peut-être que les choses n'étaient pas ce qu'elles semblaient être dans le meilleur des mondes. 

But after all, maybe things weren't what they seemed in this fake world.


 Ils n'étaient pas le genre de pirates les plus vicieux qui soient. 

Une famille de nomades-contrebandiers de père en fils, 

ils avaient peu à peu fait fortune dans le commerce de produits soit-disant miraculeux.

Crèmes, médicaments et autres élixirs aux vertus improbables, 

en provenance de contrées sur lesquelles ils restaient parfois silencieux. 

Ma foi, pourvu que la cale à victuailles soit toujours pleine et que le business aille bon train. 

Leurs petits mensonges faisaient toujours leurs effets, surtout sur les nécéssiteux. 

Mais aussi les personnes difformes ou dont les pustules ne se dissimulaient pas bien. 

Et chez ceux pour qui le baratin ne prenait pas, ils se métamorphosaient alors en saltimbanques. 

Le père jetait l'ancre dans un endroit reculé et ils partaient dans la ville. 

Chacun avait son rôle assigné : Pendant que la cadette à la crinière brune ondulait le corps devant les passants avec de faux airs d'Esmeralda, 

les plus petits s'occupaient d'achever de distraire la foule en feignant une attitude d'angelots. 

Les parents eux, traversaient la foule de part en part et procédaient à une razzia : on peut le dire, ils avaient touché le gros lot. 

Ils collectaient ni plus ni moins les bourses des passants qui parfois dépassaient de leurs poches de pardessus. 

Pirates, saltimbanques, vendeurs de rêves et autres combines, après tout tout était bon pour s'en sortir. 

Tout était bon lorsqu'on n'avait jamais eu accès la moindre instruction. 


NOTICE D'INSTRUCTIONS POUR ETRE CHARMANT.

Etape 1 : Mettez votre coeur en mode avion.

Etape 2 : Allumez vos capteurs de codes sociaux pour faire bonne impression. 

Etape 3 : Intégrez lesdits codes à votre comportement quotidien pour un charme naturel. 

Etape 4 : Focalisez votre attention sur l'essentiel. 

Etape 5 : Utilisez le filtre des conventions sociales pour évacuer tout dépôt d'imagination ou de fantaisie obstruant le pragmatisme en vigueur dans la société. 

Etape 6 : Gardez en mémoire tampon le sourire qui va bien de circonstance et quelques jolis mots pour rompre la gène du silence. 

Etape 7 : Activez le nettoyeur automatique d'anxiété. 

Etape 8 : Dissimulez l'appareil sous une feinte insouciance. 

Etape 9 : Votre charme opère déjà, le dispositif est prêt.*


* NE CONVIENT PAS AUX PROFILS SOUFFRANT D'UNE EMPATHIE EXACERBÉE

My appearance have often been described as austere, and even more so over the past 20 years. Well, originally, if we go back to the first time I was conceived in -39 BC, the idea wasn't to intimidate the populace but to preserve texts, either Christian or pagans, by the way... 

Preserve meaning, making a little more tangible this oral wisdom, which hitherto had been sufficient to maintain a solid link with God or any other authoritative entity.

But it's as if, over time, words became emptied of their importance and their sacred character and it was necessary to multiply the media to "bottle" this wisdom.

Then over time I was provided with a DVD, music section and so on... As if to increase the chances that this wisdom would be remembered in our good memory by whatever means. And the more my shelves multiplied, subdividing themselves into subcategories of possible study materials, the more I caused the appearance of a church, people seeing myself as sacred, austere and unfathomable.

Even though we have only been talking here about two thousand years of curiosity towards the world.

 Non, il n'était pas dispo. C'est ce qu'il avait répondu à cette fille qu'il avait enfin réussi à mettre dans son lit, une petite semaine auparavant. Sans autre excuses que "mes semaines sont remplies", il l'avait envoyé promener froidement, mettant fin à toute tentative de dialogue, de négociation. 

Ayant obtenu la fameuse coucherie qu'il réclamait ouvertement depuis des semaines, comme un enfant réclame un gâteau pour le goûter, il était maintenant repu et son égo était regonflé à bloc, sublime ballon de baudruche multicolore, survolant les messages de cette fille qu'il s'était enfin tapé, avec une indifférence à peine voilée par les convenances : 

"Désolé si cela peut te heurter, ça n'est pas tant la question que je ne veux pas te voir, mais que mes semaines sont vraiment remplies..."

Toujours les mêmes mots, une fois qu'au tableau de chasse s'était ajouté une énième conquête d'une énième soirée arrosée. Les étapes étaient toujours les mêmes, méthodiques et un tantinet dans l'obsession. D'abord il attirait sa proie dans son antre, proposant un apéritif tout relatif à base de bierre pas chère et de shit pour détendre l'atmosphère. Ensuite, il séduisait, Don juan sans attaches mais fermement amaré à son propre pays, à sa propre culture, et bien sûr, à sa propre famille. 

Il séduisait à coups de compliments de pacotille et de regards appuyés. On ne pouvait pas dire qu'il faisait dans la dentelle, ses troubles de la communication se faisant immanquablement ressentir dans des émotions toujours tenues à distance. 

Puis, bien sûr, l'étape du baiser, amené en toute subtilité avec tout le reste du package, au prétexte d'un jeu d'alcool. 

Bref, la technique, à défaut de verser dans l'authenticité, était bien rodée. Et voici que cette fille, après avoir bataillé un peu, avait fini par mordre à l'hameçon. Ma foi c'était tant mieux, mais était venu le temps des adieux. 

Cependant, il faut noter que la proie en question réagit plus que vivement, lui rétorquant qu'elle avait plus que l'impression qu'on la prenait pour une conne... Sans attendre la réponse de l'intéressée, elle le bloqua sur tous les réseaux sur lesquels elle le savait, il l'espionnait. "Access denied", ce qui ne le fit pas flancher outre-mesure, perduadé que cette fille, assez bête pour mordre à son hameçon fait de bric et de broc, finirait bien par revenir un jour prochain pour quémander son temps précieux. 

Sauf que les semaines passèrent et rien ne se passa. Ni messsage, ni post sur les réseaux qui auraient pu lui faire penser que l'étincelle était toujours là, mieux, que cette fille se languissait de lui. 

La porte s'était ainsi dire refermée sur lui et ses habitudes de chasseur de coeurs de demoiselles paumées. Il continuait à espionner cette fille sur les réseaux comme il l'avait toujours fait, à travers de faux comptes et de fausses adresses IP qu'en bon informaticien autiste qu'il était il avait toujours sous la main. 

Tout moyen de dissimulation de ses sentiments véritables était requis, ou tout ce qui auarit pu révéler de lui un tout petit peu de vulnérabilité. Non seulement un homme de sa culture n'avait pas le droit de mettre ses sentiments à nu, mais il était marié. Oui, marié depuis ses 21 ans. 

Ces européennes pulpeuses qu'il collectionnait faisait certes du bien à son égo mais surtout, elles lui permettaient de fuir. Fuir ses lourdes responsabilités vis-à-vis d'une famille à laquelle il devait, selon la tradition en vigueur, une loyauté sans faille. A l'autre bout du monde, il pouvait ainsi se conformer à ses obligations tout en vaquant à ses occupations limites. La belle affaire. 

Sa vie était une fête perpétuelle. Toujours un joint ou un verre de whisky à portée de sa bouche, sur des airs de Rn'b commercial. La fête était perpétuelle, comme pour masquer le silence d'une tristesse profonde, celle d'un jeune homme dont la vie était déjà pipée d'avance. 

Le mariage, les enfants, la maison achetée par les parents du couple, puis la vieillesse, longue descente rythmées par les traditions vers une petite mort. Ainsi il en allait de la destinée de beaucoup de garçons et de jeunes hommes, dans sa région d'origine.

En attendant, la porte était fermée et plus le temps s'écoulait, plus les chances de revoir cette fille s'amoindrissaient. A vrai dire, comme pour les autres, il avait cru qu'il s'en foutrait, ignorant superbement cet appel du coeur initial. Cette complicité, cette évidence qu'il ne s'étaient jamais expliqué, tant tous les deux ils étaient différents. Ils n'avaient pas grand chose en commun, si ce n'est cette passion qui les liait l'un à l'autre. Mais que lui avait-elle fait, au juste ? Il ne comptait plus le nombr ede fois où il visitait ses profils, car elle était très active sur les réseaux... Elle se disait artiste, mais n'était-elle pas aussi un peu sorcière ? 

Il ne comprenait pas vraiment ce qu'elle faisait de son temps, entre l'écriture, la peinture, le théâtre, la danse et d'autres choses qui ne l'intéressaient pas trop. Force était de constater nénamoins qu'après avoir été dans le déni, il se trouvait maintenant dans le regret, face à cette porte virtuelle que son égo ne pouvait pousser... A quoi bon franchir cette porte après tout, cette porte menant à un avenir fait de néant ? 

L'éternelle question du fruit défendu. Mais à quel genre de jardin d'Eden pouvait-il bien s'attendre avec cette fille avec laquelle il avait une différence d'âge, de culture, mais aussi... De sensibilité ? 

C'est comme s'il n'avait rien à faire avec elle, et pourtant tout à faire, à construire... 

Avec elle, tout était fluide, ils pouvaient rire tous les deux de leurs propres blagues, allongés sur un lit des heures durant, plongés dans le noir, en écoutant de la munsique, comme deux ados qu'aucune responsabilité, aucune contrainte ne raccrochait plus à ce monde de souffrance et de division... Avec elle, bien qu'il ne comprenait pas tout à ses expériences de création et à ses délires en tout genre, c'est comme s'il passait la porte d'un autre monde. Il n'avait même plus besoin de ses nombreuses parades, ses nombreux substituts de drogue et d'alcool pour être en apesanteur. 

Elle n'était pas friande de journeaux à vrai dire, ni de chaînes d'informations en continu. 

La réalité de sa vie lui suffisait amplement et elle ne ressentait pas spécialement le besoin d'en remettre une couche avec de l'anxiété supplémentaire. Mais il se trouve qu'elle était tombée par hasard sur cet article qui relatait l'effet délétaire d'une porcherie dans le dunkerquois. Les excréments des cochons ayant contaminé les nappes phréatiques de sorte à générer des algues vertes dont se repéssait désormais la faune environnante. Pas particulièrement sensibilisée aux joies de l'élevage industriel, elle avait quand même été un peu refroidie par la balade sur la plage que lui avait proposé Claudia. 

Bon, nous étions en mai et les températures commençaient tout de même à se réchauffer, même dans le Nord de la France. Mais tout de même, cette histoire de merde qui s'était déversée dans la mer, ainsi que la centrale nucléaire et l'usine à saucisses qui trônaient près de l'esplanade où elles s'étaient donné rendez-vous pour cette marche ne l'emballaient pas des masses... 

Le décor n'était pas vraiment idyllique, mais elle avait promis et il n'y avait pas grand chose à foutre d'autre à Dunkerque un dimanche. Elles marchaient donc toutes deux sur cette fameuse esplanade en caquettant au sujet de leurs derniers déboires amoureux quand elles tombèrent nez-à-nez avec un poisson qui marchait vers le rivage de la mer. 

Oui, il se déplaçait bien, et même de façon assez rapide à l'aide de nageoires qui se dépliaient et se repliaient sur le sol au grès de ses ondulations empreintes d'une certaine grâce. Son corps, ou plutôt une sorte de tronc recouvert d'écailles scintillantes d'un violet discret qui tirait sur le gris, lui conférait une allure de star de gala. Elle pu aussi distinguer une queue orange en as de trèfle, mais ne pu apercevoir son regard, la créature étant de dos et se dirigeant trop rapidement vers son but... Mais quel était son but, justement ? 

A en juger par ce que la créature ingurgita avant de disparaître dans les flots, elle n'avait plus de mal à le deviner. Il s'agissait d'une créature mutante qui semblait se nourrir... De merde. 


Ils s'étaient rencontrés peu avant son départ. Elle revenait d'un long voyage et pour fêter leurs retrouvailles, il l'avait convié au restaurant, enfin pas le plus cher de tous non plus, 'exagérons rien ! 

Ils partageaient donc une pizza ensemble commpagnée d'eau du robinet en carafe. Vient l'heure du dessert, après qu'il ait laissé échapper deux ou trois allusions grivoises histoire de tâter le terrain : 

- J'espère que je t'ai manqué, quand même... 

- Euh... 

- Deux mois et demi, c'est long quand même. 

- Oui, surtout quand on fait tous les jours la même chose... 

- Qu'est-ce que tu veux dire ? 

- Bah en deux mois et demi, quand t'es à l'autre bout du monde, confronté à une culture qui n'a rien à voir avec la tienne et en train de t'imprégner de senteurs et de paysages dont tu n'avais auparavant jamais soupçonné l'existence, non, je veux dire, personne te manque ! T'es plutôt en train de savourer chaque minute de cette expérience qui ne risquera plus de se reproduire de sitôt.

- Ah bon... Chais pas, la seule fois que j'ai fait un voyage c'était pour acheter des cigarettes en Espagne. 

- Ah oui, je vois... 

Il pensa qu'elle allait reprendre la parole pour lui faire un appel de phare, lui signifier d'une manière ou d'une autre qu'elle n'était pas insensible à son charme, ou qu'au moins quelque chose de tangible se passerait sur le plan... Enfin vous voyez ce que je veux dire. Mais non, rien ne se passa. La conversation était bien partie pour en rester là et ainsi que quand le serveur s'avança pour leur remettre la carte des cafés et des desserts, il s'empressa de dire : 

- Ah non mais t'inquiète pas, le café c'est pour moi !


"Monsieur catastrophe". C'est comme cela qu'on le surnommait, puisqu'il passait son temps à tout faire de travers, envers et contre tout le bon sens du monde. 

Un rendez-vous professionnel était prévu à 13 heures tapantes ? Il se débrouillait pour opter pour le trajet le plus long, même avec l'aide précieuse de Google maps. Qu'en aurait-il été sans technologie ? On ose à peine l'imaginer... 

Des démarches étaient nécessaires à quelque entreprise précise, telle qu'un voyage ou l'obtention d'une certification ? Qu'importe, il s'arrangeait pour ne se procurer à coup sûr que la moitié des papiers administratifs requis. 

Tout se passait comme sur des roulettes dans une atmosphère de calme et de quiétude ? C'est simple, il lui fallait alors attirer l'attention à lui d'une quelconque manière, en faisant nonchalamment tomber une assiette pleine de mets délicieux sur le sol venant d'être astiqué de son hôte. 

Mais dans toutes ces situations où Jean-Claude se foutait pour recceuillir la bienveillance d'autrui dont inconsciemment il doutait, il retombait toujours sur ses pattes. 

Il prenait une décision de merde en bookant un train à la dernière minute ? Il s'avèrait toujours que l'autre personne présente au rendez-vous soit en retard également. 

Il oubliait d'acheter le visa nécessaire à son entrée en Biélorussie ? Un agent verreux qu'il pourrait soudoyer était présent à coup sûr dans l'aéroport. 

Il foutait le bordel chez les autres ? Pas grave, l'hôte qui l'acceuillait était une bonne poire. 

Bref, il faut croire que se foutre dans de pareilles situations revenait à se dire qu'après tout, qui perd gagne, même sans-gêne ! 


 L'aéroport d'Addis Ababa, compte-tenu de la situation de la capitale qui transitait laborieusement vers un "développement économique" tout relatif, n'était pas si mal. Elle en avait déjà connu, des aéroports dans sa vie de voyageuse ! Voilà déjà 6 ans qu'elle parcourait l'Europe et maintenant le monde et vraiment, on n'était pas à plaindre. Il était vaste, avec une connexion Internet plutôt stable et de quoi recharger son téléphone sans se sentir pris au dépourvu. 

Addis Ababa airport, given the situation of the capital which was laboriously transitioning towards relative "economic development", was not so bad. She had already experienced airports in her life as a traveler! It's already been 6 years since she traveled across Europe and now the world and really, we couldn't complain. It was large, with a fairly stable internet connection and enough to charge your phone without feeling caught off guard.


Mais cela n'était pour l'instant pas son souci, puisqu'elle s'était déjà placée dans la file d'attente de l'avion qui bientôt la ramènerait à sa réalité d'européenne blanche. Deux mois passés en Ethiopie était amplement suffisant. Elle s'était fait une idée suffisamment claire de la situation de ce pays et avait suffisamment respiré son atmosphère triste et lunaire. Elle avait besoin d'air, besoin de renouer avec ses repères avant d'être à nouveau dans son pouvoir. 

Yet for the moment that wasn't her concern, since she had already placed herself in the queue for the plane which would soon bring her back to her reality as a white European. Two months spent in Ethiopia was more than enough. She had formed a sufficiently clear idea of ​​the situation in this country and had sufficiently breathed in its sad and lunar atmosphere. Some air was needed, needed to reconnect with her bearings before being in her power again.


Mais voilà qu'on lui refusa l'entrée dans le bolide, on lui refusa de regagner ses pénates pour un repos... Salutaire. L'Ethiopie était un pays en proie à la fièvre jaune, et elle n'avait pas le vaccin requis pour répondre aux règles sanitaires en vigueur d'un retour en Europe. Combattante, elle tenta le pied-de-nez ; elle connaissait un peu l'Afrique et savait que parfois, il fallait un peu de culot pour faire pencher la balance : elle fit biper son billet et courru à toute vitesse jusque dans l'avion où elle pris place à l'endroit qui lui était attribué. 

But now she was refused entry into the vessel, she was refused to return home for a salutary... rest. Ethiopia was a country plagued by yellow fever, and she didn't have the vaccine required to meet the health regulations in force for a return to Europe. As a fighter, she attempted a snub; she knew a little about Africa and knew that sometimes it took a little nerve to tip the scales: she beeped her ticket and ran at full speed to the plane where she took her seat in her assigned place.


Son attitude téméraire saisit tellement le personnel de bord de surprise que personne ne fut assez rapide pour retenir la jeune femme dans sa course folle. Armée d'audace et vissée à son siège, elle attendit le verdict de l'agent de sécurité qui s'avançait déjà pour la sommer de se procurer un vaccin qu'elle irait acheter quelques heures plus tard dans un quartier douteux de la capitale dédié à la contrebande. 

Her reckless attitude took the crew so by surprise that no one was quick enough to stop the young woman in her mad rush. Armed with audacity and screwed to her seat, she waited for the verdict of the security agent who was already coming forward to summon her to obtain a vaccine which she would go to buy a few hours later in a dubious area of ​​the capital dedicated to smuggling.


"Si j'étais un homme, je parie qu'on m'aurait laissé à bord moyennant finance." S'entendit-elle penser. On discutait avec les hommes, mais pas avec les femmes. On préférait laisser les femmes courir le risque d'aller acheter de faux papiers au beau milieu de la nuit et de repayer un billet de retour au montant astronomique, bien évidemment. Ainsi il en allait de l'Afrique noire et de sa mafia très bien organisée : les agents de sécurité renvoyant un à un les voyageurs blancs peu avisés vers leurs compatriotes du quartier voisin. Pas vraiment de mystère là-dedans !

“If I were to be a man, I bet they would have let me on board for a fee.” She heard herself thinking. We bargain with men, but not with women. They prefer to let women run the risk of going to buy fake papers in the middle of the night and paying a huge amount for a return ticket, of course. So it was with black Africa and its very well organized mafia: security agents sending unwise white travelers one by one back to their compatriots in the neighboring district. No mystery involved here !


 Elle était tout simplement épuisée de ce périple. Trois mois à arpenter ce pays où le panafricanisme ne lui avait pas permis de sociabiliser avec les gens. Trois mois à s'inquiéter de savoir si elle serait à-même de pouvoir trouver une connexion Internet lui permettant de travailler. Et trois mois avec son copain pendant lesquels la douceur et la sensualité n'était plus vraiment au rendez-vous. 

She was simply exhausted from this journey. Three months wandering this country where Pan-Africanism hadn't allowed her to socialize with people. Three months of worrying about whether she would be able to find an Internet connection that would allow her to work. And three months with her boyfriend during which sweetness and sensuality were no longer really there.


Alice redescendit de son nuage : elle ne survolerait pas le continent africain cette nuit pour s'acheminer vers un repos bien mérité. L'aventure dans l'Afrique profonde qu'elle s'était promise de vivre, cette investigation journalistique un peu farfelue prenait des allures de cauchemard. Ce faux vaccin, en admettant qu'on la laisse entrer dans son prochain avion avec, feraient-ils l'affaire à la frontière égyptienne ? Après tout, elle ne le savait même pas... 

Alice came down to Earth : she won't fly over the African continent this night on her way to a well-deserved rest. The adventures in deep Africa that she had promised herself to experience, this somewhat eccentric journalistic investigation, was turning a nightmare. Would this fake vaccine, assuming she was let into her next plane with it, do the trick at the Egyptian border ? After all, she didn't even know it...


Si l'on remontait à mon enfance, à la genèse de ma création, disons qu'on ne verserait pas dans l'originalité : j'ai été conçu et construit en Chine, dans une de ces usines qui ressemblent plus à des camps de travail qu'autre chose... Bon, le début de ma vie n'a pas été des plus joyeux, jusqu'à ce que j'atterrisse dans ce magasin Discount, n'ayant pas connu un franc succès dans le premier où j'ai transité. Et c'est là où par un beau matin de septembre je fis la connaissance de Germain, qui avait du monde à la maison l'après-midi même et qui se laissa séduire par mon vert pétant... 

C'est surtout que Germain souffrait, l'âge faisant, d'un trouble de la vision qui ne lui permettait pas d'être pleinement objectif dans son choix. Toujours est-il que ni une, ni deux, il m'embarqua dans son charriot de course prévu à cet effet, ainsi que cinq autres de mes congénaires, d'un rose, d'un orange, d'un rouge, d'un bleu et d'un violet tout aussi pétants que le mien ; le tout agrémenté de fleurs énormes qui ne  semblaient pas avoir fait l'unanimité non plus auparavant... Autant dire que je me souviendrai toujours de la mine ragaillardie de mes camarades, à l'idée du délicieux massage à venir du café brûlant venant au contact de leur porcelaine si délicate. 

Nous venions à l'instant d'avoir eu le privilège d'être sélectionné par Germain pour apporter notre précieuse contribution au tournoi de Belote qui s'annonçait serré. 

Barbara cherchait après sa barette. Une barette travaillée à la feuille d'or surmontée de nacre,  censée briller sur sa cheveulure noire dont les boucles tombaient de façon étudiée sur son pull de coton Gucci : le poil brillant et la tenue qui allait bien avec, le combo gagnant d'un futur réel instagram sponsorisé bien sûr par une énième marque de fringues tendance. 

Barbara was looking for her barrette. A barrette worked with gold leaf topped with mother-of-pearl, supposed to shine on her black hair whose curls fell in a studied manner on her Gucci cotton sweater: the shiny hair and the outfit that matched it, the winning combo of a future real Instagram sponsored of course by yet another brand of trendy clothes.


Bref, Barbara était promptement attendue dans un studio parisien pour faire le shoot mais il lui manquait cette fameuse barette de nacre qui devait matcher parfaitement avec sa paire de sneakers blanches, elles aussi. 

In short, Barbara was promptly expected in a Parisian studio to do the shoot but she was missing this famous mother-of-pearl barrette which should have matched perfectly with her pair of white sneakers too.


Elle ne la retrouvait pas et cela était impardonnable, tout simplement car cette barette ne lui appartenait pas et lui avait seulement été prêtée par un de ses sponsors à l'occasion du shooting en question. Barbara commençait sérieusement à s'impatienter, pestant contre elle-même (se parler à soi-même n'est vraiment pas in) quand elle tomba nez à nez sur une crotte sous le tapis de vison du salon. Oui, une grosse crotte écrasée dont elle n'avait pas soupçonné l'existence ni l'odeur auparavant pour des raisons... Obscures. 

She couldn't find it and that was unforgivable, quite simply for this barrette did not belong to her and had only been loaned by one of her sponsors for the shooting in question. Barbara was seriously starting to get impatient, cursing at herself (talking to oneself is really not in) when she came face to face with a turd under the mink carpet in the living room. Yes, a large crushed turd whose existence and smell she hadn't suspected before for some... Obscure reasons.


D'ailleurs oui, comment cela pouvait-il être possible qu'une aussi grosse crotte ait pu attérir là, tout en sachant qu'elle ne possédait ni animal de compagnie ni chiard, trop focalisée sur sa carrière d'instagrammeuse pour imaginer une seconde prendre soin d'un être qui ne fut pas... elle-même ? 

By the way yes, how could it be possible that such a big turd could have ended up there, knowing that she had neither a pet nor a toddler, too focused on her career as an Instagrammer to imagine a second taking care of a being who wasn't... herself ?


S'agissait-il d'une crotte du futur qui aurait été téléportée ici ? 

Was it a turd from the future that was teleported here?


Toujours est-il que ces questionnements internes auraient au moins le mérite de détourner Brabara pour quelques minutes... de son nombril. 

Still, these internal questions would at least have the merit of distracting Brabara for a few minutes... from her navel.


PRÉSENT 


Il s'agissait d'une salle d'attente tout ce qu'il y a de plus prosaïque et banal. Une salle de taille moyenne au rez-de-chaussé d'un de ces logements sociaux de gamme moyenne, des grands ensembles ayant été implantés probablement vers le milieu des années 80 dans la deuxième couronne toulousaine. Gris sales, ils ne se démarquaient pas vraiment du reste des bâtisses de ce type que l'on pouvait trouver un peu partout dans les grandes villes de France : une architecture utilitaire, corbuséenne et... Morne. Cette salle d'attente pâlichone dont les murs d'albâtre étaient ornés d'affiches de sensibilisation à diverses maladies ne différait pas de cela. Aucune couleur ni aucune fantaisie au rendez-vous. Le long de ses murs s'alignaient en rang d'oignon quelques chaises de plastique. Le seul rendez-vous qui tenait était celui avec le docteur Jancabre, médecin généraliste qui tous les jours à intervalles d'environ 15 minutes entrouvrait la porte pour prononcer le nom du prochain patient sur la liste, car il en était fini le temps des passages à l'improviste. Rendez-vous devait être pris sur la plateforme virtuelle prévue à cet effet, j'ai nommé Doctolib. 

Le docteur, d'un âge avancé maintenant, s'avançait donc munie de son calepin pour diriger son patient vers son cabinet. Une salle donnant tout autant dans la fantaisie, une photo de famille trônant sur le bureau en plus, néanmoins. Un calepin, oui. Cyrielle Jancabre avait beau essayer de verser dans la modernité, elle avait besoin de ce calepin où ses rendez-vous étaient notés, comme pour garder une trace de quelque chose de réel, qui a existé. 

Le docteur entraînait donc le prochain client dans sa course aux inscrits sur Doctolib, et les voici partis pour un rendez-vous aux allures de speed-dating. 



PASSÉ

Faisons un bond en arrière, maintenant. Disons 200 ans en arrière, 1870. Pas de Doctolib, pas de paiement en ligne, ni de chaises de plastique... Pas même de grands ensembles d'ailleurs, puisque Toulouse, à cette époque, se résume à un gros village dont la principale activité commerciale est le transport de marchandises au moyen de ce fleuve, qui s'appelle déjà la Garonne. Mais Toulouse existe déjà, village médiéval où des relents de catharisme traînent ça et là, même si l'inspiration dominante reste chrétienne. Le couvent des Jacobins ou celui des Augustins, qui n'est pas encore devenu un musée, en témoignent. 

Bref, là où le cabinet du docteur Jancabre tourne à plein-régime du matin au soir au grès des bobos et autres pathologies de chacun, il n'y a... Pas grand chose. Si ce n'est la forêt toulousaine, assez danse d'ailleurs, le déboisement et l'industrialisation n'étant pas encore passés par là... Ici, ne s'élèvent pas vers le ciel des immeubles de béton censés contenir la masse d'une population en plein boom, mais des Chênes, des Platanes, mais aussi des Frênes, des Erables, des Lauriers, des Genévriers et même ça et là des arbres fruitiers. On ne s'extasie pas devant les écureuils qui passent par là, car ils sont monnaie courante dans ce lieu sauvage, où passent de temps en temps sur quelques sentiers de terre des calèches. En effet, l'exposition universelle de Paris qui lancerait les premières automobiles à quatre roues avec moteur à essence n'avait pas encore eu lieu. Alors autant dire que rien de bien bruyant ni de bien suffocant ne pouvait faire fuir la faune environnantede son habitat naturel. Oui, on peut dire qu'en lieu et place du cabinet du docteur Jancabre, se trouvait un endroit si pur et apaisant qu'il n'avait rien à envier à toutes les cliniques, hôpitaux et cabinets de médecine du monde. 



FUTUR 

Et qu'en serait-il 200 ans plus tard ? Imaginons que la mode new-age d'inspiration vaguement hindouiste et boudhiste ait perduré... Que ce business ait continué à grossir, grossir, devenant ainsi une nouvelle religion, du moins un nouveau crédo pour cadres sous pression professionnelle et pour salariés stressés. Imaginons que le yoga, la méditation et autres pratiques de sophrologie et de développement personnel soient devenus le nouvel alpha et oméga d'une vie humaine aboutie et épanouissante, et le nouveau moyen par lequel on pourrait, par diverses techniques de coaching individuels, arriver à faire passer la pillule de la robotisation des 95% des métiers existants, laissant une population désoeuvrée et sans le sous s'abreuver d'une existence débilitante devenue presque totalement virtuelle. Alors, partant de ces considérations un brin dystopiques, on n'a pas de mal à imaginer qu'en lieu et place de la forêt domaniale toulousaine et du cabinet du docteur Jancabre, se trouvait maintenant un lieu où des patients ayant développé diverses troubles comportementaux à force d'être déconnectés de la réalité de la vie se regroupent pour... Discuter. Interactionner socialement ensenble sans autre support que leurs bouches respectives.