Jordan s'était découvert une passion pour le foot sur le tard. Ses parents, cadres tous les deux, trouvaient ce sport abrutissant et avaient destiné leur fils à quelques activités extra-scolaires disons moins triviales que ce sport où les joueurs avaient l'air de courir comme des chiens après une baballe. 

Mais voilà qu'un jour comme les autres, en attendant le bus scolaire, il avait été convié par les "racailles du quartier" (c'est comme cela que les surnommaient ses parents) à donner un coup dans ledit ballon. Il y avait en effet un skate-park ainsi qu'un city stade non loin de l'arrêt de bus. Ces derniers étaient tous deux recouverts de graphittis aux messages sans équivoque : "Nik ta mere", "Kader jvai tplanté", "Mor aux feuj", etc, etc. 

Et les poubelles de détritus qui jalonnaient les allées de ces endroits n'étaient pas pour rassurer non plus, lui qui ne connaissait presque que les intérieurs immaculés de la maison familiale et de l'appartement qu'ils possédaient sur la côté atlantique. Presque, car il se trouve que Jordan allait à l'école publique, se retrouvant ainsi confronté régulièrement aux odeurs de pipi des toilettes pour garçons. 

Eh oui, même avec un bon réseau de contacts, que voulez-vous, on arrive pas forcément à échapper à la carte scolaire ! 

Mais voilà que les habitués du city-stade, qui pour quelques-uns étaient dans sa classe, le mettaient au défi de "jouer à la baballe", comme le disait son père d'un ton condescendant. 

- Alors le blanc, y paraît que t'es bon au tennis alors montre c'que t'as dans l'ventre" lui lança Mamadou en riant. 

Jordan prétexta que le bus n'allait pas tarder à arriver et que de toute façon, il n'aimait pas le foot. 

- On t'a pas demandé si t'aimait, tête de bite, tu viens ou sinon on te banane ta Apple watch. Lui dit fermement Maxime, le leader du groupe. 

Jordan regarda sa montre à 870 euros. Bon, effectivement, il valait peut-être mieux se plier à leurs désideratas. 

- OK, qu'est-ce que vous voulez que je fasse ?

- Vas-y tu mets 3 buts sinon tu nous donnes 20 euros. Lui lança Farid. 

Trois buts ? Impossible, Jordan ne connaissait même pas les rudiments du football. Il s'exécuta quand même sans se faire prier. 20 euuros n'équivalait même pas à son argent de poche hebdomadaire et puis ils étaient quand même six contre lui... 

Et c'est comme cela que Jordan s'intégra au monde, découvrant de nouvelles personnes au fil des tournois de rue qui avaient lieu chaque semaine un peu dans tous Toulouse qu'il explorait maintenant allègrement. Lui qui avait pourtant appris dans le manuel d'histoire-géographie que lui avait offert sa tante pour Noël que les tournois de foot dans la rue, c'était un truc de bidonvilles, de favellas. 

C'est ainsi qu'il prit goût à ce sport, pas tant pour le sport lui-même que pour la liberté qu'il lui apportait d'ailleurs, et le fait de parcourir de nouveaux possibles... 

Un tournoi se finissait un peu plus tard un jeudi soir ? Pas grave, il prétextait que le bus était en retard pour la troisième fois de la semaine, ou qu'il préférait rester en salle d'études pour potasser les mathématiques, son talon d'Achille. 

- Tu deviens trop studieux mon chéri, j'ai peur que ta santé en pâtisse, lui glissa  un jour sa mère, pas très convaincue par ses propres propos, flairant déjà un peu l'embrouille... 

Jordan, qui ne cherchait rien d'autre qu'un peu d'air frais à l'extérieur du lavage de cerveau familial ambiant ne le savait pas, mais il avait créé l'impensable. Il avait franchi les barrières sociales comme on enjambe un cheval d'arçon.