PRÉSENT 


Il s'agissait d'une salle d'attente tout ce qu'il y a de plus prosaïque et banal. Une salle de taille moyenne au rez-de-chaussé d'un de ces logements sociaux de gamme moyenne, des grands ensembles ayant été implantés probablement vers le milieu des années 80 dans la deuxième couronne toulousaine. Gris sales, ils ne se démarquaient pas vraiment du reste des bâtisses de ce type que l'on pouvait trouver un peu partout dans les grandes villes de France : une architecture utilitaire, corbuséenne et... Morne. Cette salle d'attente pâlichone dont les murs d'albâtre étaient ornés d'affiches de sensibilisation à diverses maladies ne différait pas de cela. Aucune couleur ni aucune fantaisie au rendez-vous. Le long de ses murs s'alignaient en rang d'oignon quelques chaises de plastique. Le seul rendez-vous qui tenait était celui avec le docteur Jancabre, médecin généraliste qui tous les jours à intervalles d'environ 15 minutes entrouvrait la porte pour prononcer le nom du prochain patient sur la liste, car il en était fini le temps des passages à l'improviste. Rendez-vous devait être pris sur la plateforme virtuelle prévue à cet effet, j'ai nommé Doctolib. 

Le docteur, d'un âge avancé maintenant, s'avançait donc munie de son calepin pour diriger son patient vers son cabinet. Une salle donnant tout autant dans la fantaisie, une photo de famille trônant sur le bureau en plus, néanmoins. Un calepin, oui. Cyrielle Jancabre avait beau essayer de verser dans la modernité, elle avait besoin de ce calepin où ses rendez-vous étaient notés, comme pour garder une trace de quelque chose de réel, qui a existé. 

Le docteur entraînait donc le prochain client dans sa course aux inscrits sur Doctolib, et les voici partis pour un rendez-vous aux allures de speed-dating. 



PASSÉ

Faisons un bond en arrière, maintenant. Disons 200 ans en arrière, 1870. Pas de Doctolib, pas de paiement en ligne, ni de chaises de plastique... Pas même de grands ensembles d'ailleurs, puisque Toulouse, à cette époque, se résume à un gros village dont la principale activité commerciale est le transport de marchandises au moyen de ce fleuve, qui s'appelle déjà la Garonne. Mais Toulouse existe déjà, village médiéval où des relents de catharisme traînent ça et là, même si l'inspiration dominante reste chrétienne. Le couvent des Jacobins ou celui des Augustins, qui n'est pas encore devenu un musée, en témoignent. 

Bref, là où le cabinet du docteur Jancabre tourne à plein-régime du matin au soir au grès des bobos et autres pathologies de chacun, il n'y a... Pas grand chose. Si ce n'est la forêt toulousaine, assez danse d'ailleurs, le déboisement et l'industrialisation n'étant pas encore passés par là... Ici, ne s'élèvent pas vers le ciel des immeubles de béton censés contenir la masse d'une population en plein boom, mais des Chênes, des Platanes, mais aussi des Frênes, des Erables, des Lauriers, des Genévriers et même ça et là des arbres fruitiers. On ne s'extasie pas devant les écureuils qui passent par là, car ils sont monnaie courante dans ce lieu sauvage, où passent de temps en temps sur quelques sentiers de terre des calèches. En effet, l'exposition universelle de Paris qui lancerait les premières automobiles à quatre roues avec moteur à essence n'avait pas encore eu lieu. Alors autant dire que rien de bien bruyant ni de bien suffocant ne pouvait faire fuir la faune environnantede son habitat naturel. Oui, on peut dire qu'en lieu et place du cabinet du docteur Jancabre, se trouvait un endroit si pur et apaisant qu'il n'avait rien à envier à toutes les cliniques, hôpitaux et cabinets de médecine du monde. 



FUTUR 

Et qu'en serait-il 200 ans plus tard ? Imaginons que la mode new-age d'inspiration vaguement hindouiste et boudhiste ait perduré... Que ce business ait continué à grossir, grossir, devenant ainsi une nouvelle religion, du moins un nouveau crédo pour cadres sous pression professionnelle et pour salariés stressés. Imaginons que le yoga, la méditation et autres pratiques de sophrologie et de développement personnel soient devenus le nouvel alpha et oméga d'une vie humaine aboutie et épanouissante, et le nouveau moyen par lequel on pourrait, par diverses techniques de coaching individuels, arriver à faire passer la pillule de la robotisation des 95% des métiers existants, laissant une population désoeuvrée et sans le sous s'abreuver d'une existence débilitante devenue presque totalement virtuelle. Alors, partant de ces considérations un brin dystopiques, on n'a pas de mal à imaginer qu'en lieu et place de la forêt domaniale toulousaine et du cabinet du docteur Jancabre, se trouvait maintenant un lieu où des patients ayant développé diverses troubles comportementaux à force d'être déconnectés de la réalité de la vie se regroupent pour... Discuter. Interactionner socialement ensenble sans autre support que leurs bouches respectives.