Non, il n'était pas dispo. C'est ce qu'il avait répondu à cette fille qu'il avait enfin réussi à mettre dans son lit, une petite semaine auparavant. Sans autre excuses que "mes semaines sont remplies", il l'avait envoyé promener froidement, mettant fin à toute tentative de dialogue, de négociation. 

Ayant obtenu la fameuse coucherie qu'il réclamait ouvertement depuis des semaines, comme un enfant réclame un gâteau pour le goûter, il était maintenant repu et son égo était regonflé à bloc, sublime ballon de baudruche multicolore, survolant les messages de cette fille qu'il s'était enfin tapé, avec une indifférence à peine voilée par les convenances : 

"Désolé si cela peut te heurter, ça n'est pas tant la question que je ne veux pas te voir, mais que mes semaines sont vraiment remplies..."

Toujours les mêmes mots, une fois qu'au tableau de chasse s'était ajouté une énième conquête d'une énième soirée arrosée. Les étapes étaient toujours les mêmes, méthodiques et un tantinet dans l'obsession. D'abord il attirait sa proie dans son antre, proposant un apéritif tout relatif à base de bierre pas chère et de shit pour détendre l'atmosphère. Ensuite, il séduisait, Don juan sans attaches mais fermement amaré à son propre pays, à sa propre culture, et bien sûr, à sa propre famille. 

Il séduisait à coups de compliments de pacotille et de regards appuyés. On ne pouvait pas dire qu'il faisait dans la dentelle, ses troubles de la communication se faisant immanquablement ressentir dans des émotions toujours tenues à distance. 

Puis, bien sûr, l'étape du baiser, amené en toute subtilité avec tout le reste du package, au prétexte d'un jeu d'alcool. 

Bref, la technique, à défaut de verser dans l'authenticité, était bien rodée. Et voici que cette fille, après avoir bataillé un peu, avait fini par mordre à l'hameçon. Ma foi c'était tant mieux, mais était venu le temps des adieux. 

Cependant, il faut noter que la proie en question réagit plus que vivement, lui rétorquant qu'elle avait plus que l'impression qu'on la prenait pour une conne... Sans attendre la réponse de l'intéressée, elle le bloqua sur tous les réseaux sur lesquels elle le savait, il l'espionnait. "Access denied", ce qui ne le fit pas flancher outre-mesure, perduadé que cette fille, assez bête pour mordre à son hameçon fait de bric et de broc, finirait bien par revenir un jour prochain pour quémander son temps précieux. 

Sauf que les semaines passèrent et rien ne se passa. Ni messsage, ni post sur les réseaux qui auraient pu lui faire penser que l'étincelle était toujours là, mieux, que cette fille se languissait de lui. 

La porte s'était ainsi dire refermée sur lui et ses habitudes de chasseur de coeurs de demoiselles paumées. Il continuait à espionner cette fille sur les réseaux comme il l'avait toujours fait, à travers de faux comptes et de fausses adresses IP qu'en bon informaticien autiste qu'il était il avait toujours sous la main. 

Tout moyen de dissimulation de ses sentiments véritables était requis, ou tout ce qui auarit pu révéler de lui un tout petit peu de vulnérabilité. Non seulement un homme de sa culture n'avait pas le droit de mettre ses sentiments à nu, mais il était marié. Oui, marié depuis ses 21 ans. 

Ces européennes pulpeuses qu'il collectionnait faisait certes du bien à son égo mais surtout, elles lui permettaient de fuir. Fuir ses lourdes responsabilités vis-à-vis d'une famille à laquelle il devait, selon la tradition en vigueur, une loyauté sans faille. A l'autre bout du monde, il pouvait ainsi se conformer à ses obligations tout en vaquant à ses occupations limites. La belle affaire. 

Sa vie était une fête perpétuelle. Toujours un joint ou un verre de whisky à portée de sa bouche, sur des airs de Rn'b commercial. La fête était perpétuelle, comme pour masquer le silence d'une tristesse profonde, celle d'un jeune homme dont la vie était déjà pipée d'avance. 

Le mariage, les enfants, la maison achetée par les parents du couple, puis la vieillesse, longue descente rythmées par les traditions vers une petite mort. Ainsi il en allait de la destinée de beaucoup de garçons et de jeunes hommes, dans sa région d'origine.

En attendant, la porte était fermée et plus le temps s'écoulait, plus les chances de revoir cette fille s'amoindrissaient. A vrai dire, comme pour les autres, il avait cru qu'il s'en foutrait, ignorant superbement cet appel du coeur initial. Cette complicité, cette évidence qu'il ne s'étaient jamais expliqué, tant tous les deux ils étaient différents. Ils n'avaient pas grand chose en commun, si ce n'est cette passion qui les liait l'un à l'autre. Mais que lui avait-elle fait, au juste ? Il ne comptait plus le nombr ede fois où il visitait ses profils, car elle était très active sur les réseaux... Elle se disait artiste, mais n'était-elle pas aussi un peu sorcière ? 

Il ne comprenait pas vraiment ce qu'elle faisait de son temps, entre l'écriture, la peinture, le théâtre, la danse et d'autres choses qui ne l'intéressaient pas trop. Force était de constater nénamoins qu'après avoir été dans le déni, il se trouvait maintenant dans le regret, face à cette porte virtuelle que son égo ne pouvait pousser... A quoi bon franchir cette porte après tout, cette porte menant à un avenir fait de néant ? 

L'éternelle question du fruit défendu. Mais à quel genre de jardin d'Eden pouvait-il bien s'attendre avec cette fille avec laquelle il avait une différence d'âge, de culture, mais aussi... De sensibilité ? 

C'est comme s'il n'avait rien à faire avec elle, et pourtant tout à faire, à construire... 

Avec elle, tout était fluide, ils pouvaient rire tous les deux de leurs propres blagues, allongés sur un lit des heures durant, plongés dans le noir, en écoutant de la munsique, comme deux ados qu'aucune responsabilité, aucune contrainte ne raccrochait plus à ce monde de souffrance et de division... Avec elle, bien qu'il ne comprenait pas tout à ses expériences de création et à ses délires en tout genre, c'est comme s'il passait la porte d'un autre monde. Il n'avait même plus besoin de ses nombreuses parades, ses nombreux substituts de drogue et d'alcool pour être en apesanteur.