Éclater de rire : oxygène dans les postures, faire voler l'égo en éclats.
Poème biographique, poème cathartique

Ils avaient fait pour ainsi dire les choses à l'envers.
Un message, sur une plateforme de rencontres, lancé comme une bouteille à la mer.
Un message, puis deux, trois, et un pacte tacite fut scellé dans leurs coeurs incompris.
D'un chuchotement dans la nuit se voyait naître une complicité.
Échanges écrits sous le signe de la littérature, de la philosophie, de la beauté,
et voilà que les photos de profil étaient transfigurées.

De prime abord, son visage l'avait rebuté.
C'était certain, quelque chose clochait.
Elle, d'emblée, fut en état de grâce.
A vrai dire, elle le savait, mais cela ne l'empêchait pas
De souffler sur sa carcasse émotionnelle le chaud et le froid.
Bienveillance, conseils avisés, mais sourire de glace.

Avec son âme se familiariser par écrans interposés.
Passion et frustration entremêlées,
Dans le joyeux bordel de leurs projections respectives.
De projections en fantasmes, du virtuel jaillissent les attentes.
Le miracle d'une solitude sociale rendue moins agressive,
par une magie du verbe qui fait mentir les pronostics sur l'homme, pour peu qu'on la ressente.

Les peurs, bientôt, vinrent s'en mêler.
Les peurs, échos de névroses solidement ancrées.
Chez lui, surtout, elles montent la garde,
dressées dans l'ombre d'un passé tumultueux.
Eternel orphelin abandonné, asperger non-dépisté, trop intelligent pour être heureux.

L'enfance conditionne, imprime ses odeurs dans le tissu de l'imaginaire.
L'enfant est une éponge, une caisse de résonance de l'environnement.
Les gens ne le réalisent pas, ils restent à la surface, se contentent de constats amers.
Pourtant, au travers des relations, nous résolvons l’énigme originelle du parent.

Elle voulait se réconcilier avec la figure du père.
Rendre son géniteur un peu plus humain en le parant de sensualité.
Sous les concepts, les tournures de phrases percutantes, le brasier.
Clavier d'ordinateur, instrument d'une musique sauvage,
Malgré toute l'intelligence du monde, ce fut, bientôt, le naufrage.

Au fond, ils voulaient tout saboter.
Il se posait en victime, elle en sauveur.
Ils étaient leur propre bourreau.
Le résultat ne se fit pas attendre : elle avait peur.

Premier appel téléphonique, catastrophe magnifique.
La poésie est devenue crispation.
Et les fantasmes, desséchés par la déception.

L'accueil fut épidermique, violent :
On l'a trompé sur la marchandise, elle parle à un adolescent.
Immaturité, manque d'intelligence relationnelle, les pensées fusent.
Sa détresse affective à elle le projette à mille lieues de l'idéal.
Il encaisse, c'est presque de l'art martial.

Lendemain de l'appel, ils ont la gueule de bois.
Elle a rompu quelque chose, le sait bien.
Le remercie de lui avoir révélé sa vraie nature, par effet miroir.
Il n'est pas l'homme qu'elle attendait, mais cela n'enlève rien,
à la découverte de son potentiel, une jolie histoire.

Véritable bouleversement psychologique, ouverture d'une brèche de lumière,
Liberté rendue de créer, écrire, voyager à sa guise,
Par delà ce que disent les statuts sociaux sur ce qu'il est de bon ton de faire.
Désormais, elle habite son corps, les regards extérieurs n'y ont plus vraiment d'emprise.
Désormais elle chante, elle danse, dans la rue aussi ; l'oiseau sort de cage.
Le handicap transmuté en force, l'indépendance comme gage.

La rencontre de visu n'a pas eu lieu.
Planifiée, puis avortée.
Il retardait le moment de venir, peur du rejet.
Elle se senti trahie, achever cette relation tortueuse serait le mieux.

De là, les insultes.
Elle se trouva face à sa violence, depuis le début redoutée.
Une violence autistique, tellement intériorisée,
que son éclatement n'en n'est que plus dévastateur.

Elle trouva finalement le moyen d'aller le voir elle-même.
De partir à sa rencontre, en chevalier servant, inversion des rôles habituels.
La fin était programmée, le nœud inextricable.
La rancœur paroxysmique, le malentendu, matriciel.
Comment démêler les fils relationnels avec des pelles à tarte ?

Des mois de discussions fiévreuses évanouis en une seule heure.
A sa découverte, l'ultime choc.
Une créature filiforme lui faisait face,
Corps maigre surmonté d'un crâne en ampoule, regard en apesanteur.
Etre froid, irréel, d'un féminin sacré étonnement doté.
La force recelée dans une délicatesse vivace.

Se tenait près d'elle un être fondamentalement fatigué,
en provenance de contrées trop lointaines pour maîtriser les codes humains.
Créature orpheline d'une famille certes, mais surtout de sphères plus éthérées,
Extraterrestre nostalgique à l'avenir incertain.
Au détour d'une banlieue résidentielle, s'étale soudain le centre commercial.
Imposante façade longiligne de béton, forteresse glaciale.
Dans le gris urbanistique de rigueur, ses néons criards,
étoiles artificielles, faux espoirs.
Le jour apparaît à peine, pourtant tout est déjà en place :
L'artillerie lourde des produits bien alignés, prêts à l'emploi.
Tout est optimisé pour la masse, tout va de soi.
Les rayonnages perpendiculaires conditionnent les ardeurs. 
Bientôt s'y agglutineront les passants, les vendeurs grimaçants.
Tout ce beau monde réuni dans ce coeur palpitant 
de la mégamachine capitaliste aux allures de cité futuriste rêvée. 
De la tôle, de l'acier, du verre, par des plantes arborescentes agrémentés.  
Et du bois bien sûr, tendance écoquartier.

Arrivée dans l'hypercentre de la métropole. 
Coins de verdure ça et là, aspect global plus avenant, moins minéralisé.
Les façades du bâti, haussmanniennes, témoignent d'une époque plus folle ; 
celle d'une architecture ne se voulant pas que fonctionnelle,
où l'esthétique est davantage qu'une excentricité. 
L'hygiénisme, visée déjà utilitaire, mais approche élégante, qui reste belle...
Grignotée par les devantures des firmes, la grâce architecturale devenue faire-valoir.
La ville, avec ses grandes places, autrefois lieux d'expression populaire,
est devenue une gigantesque vitrine où l'on flâne, où l'on se croise, mais jamais s'asseoir. 
S'asseoir, se poser, se rencontrer, voilà des choses bien peu utilitaires. 

Parfois, les avenues sont investies par de drôles de passants.
Ils aiment à semer la zizanie dans la rectitude de leur logistique. 
Paraît-il qu'ils viennent réclamer un monde plus juste, léger contretemps. 
Formalités que ces coups d'éclat, bien vite oubliés par la ville, et son bourdonnement magnétique.
Stricto sensu, ce que l'on désigne par le mot "matière" n'existe pas. Les noyaux des atomes ne se touchent pas, et même en considérant l'amas d'atomes qui forme une molécule, si celui-ci s'apparente bien à de l'énergie cristallisée, force est de constater qu'il recèle beaucoup plus de vide que de densité à proprement parler. Mieux, en plus d'être constituée en bonne partie de vide (informé néanmoins), une molécule est foncièrement instable ; sa composition est soumise à l'aléatoire quantique de la gravitation des électrons autour du noyau atomique et elle mute au grès des flux d'échange d'électrons entre les atomes que l'on appelle "réactions chimiques". Ainsi, les noyaux des atomes, qui recèlent presque toute leur densité, sont comme en apesanteur dans le champ du vide de Planck. Ils sont suspendus dans l'espace-temps quand autour d'eux se déchaîne l'instabilité des fluctuations quantiques.
La porosité et l'évanescence que l'on ressent au contact de certaines textures ne sont pas des sensations illusoires, fantasmées. Nous éprouvons la réalité de la frontière changeante entre les atomes. Et les liens entre les atomes, ces petits riens, ces îlots densifiés, en dépit d'une "matière" qui en impose, ont une solidité toute relative. 
Le contact de peau à peau que nous recherchons s'inscrit peut-être là dedans ; nous cherchons à éprouver, expérimenter la ligne ténue entre nos atomes, entre nos êtres. A échanger nos électrons comme autant de particules d'énergie qui nous informent sur l'autre. Cette attirance instinctive des corps témoigne d'un état de perpétuelle fusion avec l'environnement par delà son apparence hermétique, et questionne la nature purement animale du désir et l'évidence de la monogamie.