C'est lorsqu'elle ne fut pas au regret de perdre un énième amour qu'elle saisi : ça n'était pas lui qu'elle avait peur de perdre, pas plus que tout ceux qui lui avaient précédé. C'était ce qu'il distillait ; c'était la richesse de ces teintes différentes de couleurs que ses amants avaient tous, tour à tour, injecté dans sa vie, semblables à ces liquides toxiques que certains poissons expulsent en cas d'attaque. Ces liquides se propagent dans l'eau atmosphériquement ; grappes de fumée qui par le flou de leur dilution créent des zones tampon entre les phases de la vie. C'était ça sa vie et ce qui lui conférait sa substance : un perpétuel vagabondage entre différentes atmosphères de couleurs émotionnelles. Elles naissent de petites fécondations, rencontres avec des personnes, avec un espace, une situation. Et l'imagination, en se les réappropriant, les pare de teintes opacifiées par ses fantasmes. Oui, plus que des personnes, c'était des teintes existentielles que les rencontres offraient à vivre dont elle s'enivrait.
Moi je vis à reculons.
En vieillissant, je rajeunis.
Moi je vis à reculons.
Chaque jour qui passe me met plus en
joie que la veille.
Mes paupières s'ouvrent sur la beauté,
Je sors du sommeil des faits,
De leur pragmatique effectivité,
Pour bientôt y déceler avec le détachement que seule la joie peut offrir,
Par-delà la souffrance l'invisible du sens.
Il faut se baisser un peu pour le cueillir.
Mais jamais l'attraper, non, juste l'enlacer.
Il n'est pas question de prendre du recul, non.
Comme on le dirait avec l'air grave de celui qui prescrit, celui qui proscrit.
Cet invisible là est la fleur emmitouflée dans la touffe d'herbe.
Être assez humble pour savoir sur elle aussi regard poser.
Et avoir la chance d'entrapercevoir rien qu'une fois ce qui n'est pas le savoir, ce qui n'est pas l'expérience, ni l'intelligence, mais qui est partout dans l'air.
Certains l'appellent "amour".
Élixir de longue vie qui jamais ne rend sourd.