Digressions bric-à-brac assumées !

Le municipalisme commence à faire entendre sa petite musique. Là où les affreux fascistes d’autrefois défendaient le localisme, l’idée est reprise, le particularisme culturel en moins, bien entendu.
Le localisme fait entendre son écho, il se revendique de la commune de Paris, défie l’Etat démissionnaire face au mondialisme sauvage et se fait même dans certaines contrées anarchisme et survivalisme.
 .
A dire vrai, plus l’on s’enfonce dans le terroir, face la moins exposée aux aménités de la mondialisation, plus la défiance est grande, car moins le chemin jusqu’à un retour à l’auto-gestion est long.
 .
Seuls les agriculteurs restent campés sur leurs positions industrielles et exportatrices, culture de droite libérale oblige. Quelques-uns se convertissent au bio, parfois une révélation, souvent un bon créneau.
Mais qu’en est-il du municipalisme ? Celui qui assume l’infrastructure industrielle de la ville tout en plaidant pour la transparence politique et le bon sens écologique qu’un changement d’échelle impliquerait ?
 .
Oui, un changement d’échelle serait salvateur. Oui, l’Etat, comme le décrit Nietzsche avec malice, est bien une grosse sangsue que chacun vient nourrir des ambitions de son égo ; on fait la queue toute sa vie dans les palais des institutions pour être celui qu’on suivra, rien que pour un seul mandat, rien que pour un seul jour.
 .
L’Etat et tout ce qui a été créé sur le modèle d’une quelconque hiérarchie serait devenu obsolète. L’Etat et tout ce qui a été créé pour canaliser les ardeurs d’un peuple trop humain.
Face à cela, on fait le pari, à travers une démocratie permanente, qu’en rendant à l’humanité sa responsabilité pleine et entière d’actrice de sa civilisation, elle transcendera la quête vile du pouvoir ; elle transcendera pour ainsi dire sa condition. La responsabilité civique plutôt que le pouvoir, la citoyenneté plutôt que la politique.
 .
Moins de technocratie et plus d’humanité. C’est comme cela que l’on vient à bout de… L’humanité.
Oui, sans doute. Mais qu’entend-t-on au juste par « moins » ? Faut-il aménager le modèle industriel et la technocratie qui va avec, l’anéantir ou opérer une transition comme le municipalisme le prescrit ? Une transition vers quoi, d’ailleurs ?
 .
C’est ici, au croisement de ces épineuses questions, qu’a fleuri l’urbanisme, discipline par excellence du 21ème siècle. Discipline de crise. Anthropocène de l’affolement. Avant, on se contentait de bâtir en entassant, on faisait enfler les villes pour s’isoler de la nature et s’emmitoufler grassement dans le confort produit par la poule aux œufs d’or de la mégamachine. Des villes artificielles et sous perfusion par essence.
Tout ce que nous connaissons n’est qu’une extension de la révolution industrielle car aucune ou presque des énergies qui font battre le cœur palpitant de nos villes hédonistes n’est nouvelle. Energie électrique ? Energie fossile ? Energie mécanique ? Combustion ? Energie lumineuse ? Energie atomique. 
 .
L’urbanisme plaide pour une ville du moindre mal, où l’on se déplace à vélo sur une terre étouffée par le goudron. Où l’on « optimise » le tri des déchets et la « gestion de la pollution » au moyen d’une surenchère de smart-technologie. L’urbanisme veut planifier la ville pour retarder son effondrement qui est de fait devenu aussi le sien. Il a emprunté au monde des sciences ce qu'il a de plus laid : son pragmatisme, en omettant le reste. 
 .
Cet effondrement, c'est celui d’un empire dans la nature qui fonctionne en circuit-fermé et s’auto-nourrit : artifices d’infrastructures au service de vies artificielles. Vies artificielles qui, à mesure qu’elles se confortent dans l’hédonisme comme bonheur, légitiment la multiplication infiniment quantifiable, infiniment monnayable, des "équipements". Besoins créés de toute pièce par la mégamachine et réitérés à l’infini. Sérigraphie de l’imaginaire individuel et collectif, duplication de l’envie qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Culture industrielle, lassitude d’idées dans l’exact alignement d’un conditionnement régnant au moyen la « smart-technologie » sur toutes les « aménités » et bientôt, les soubresauts humains. C'est qu'une véritable grammaire de l'urbanisme s'est créée, transposition de la logique capitaliste à sa matérialisation suprême, j'ai nommé la métropole, la mégapole. 
 .
L’urbanisme ne va pas cracher dans la soupe. Il ne planifiera pas sa propre disparition, sa propre transition vers des cieux où le biomimétisme serait rendu possible grâce à la place centrale que tiendrait une gouvernance civile. L’urbanisme ne planifiera pas son propre salut car permettre la mise en place de laboratoires citoyens serait signer l’arrêt de mort des lobbies des énergies obsolètes et du béton dont il est tributaire.
L’urbanisme, au mieux, voudrait, écologie oblige, mettre en veilleuse l’étalement urbain ; le serpent de mer des territoires gentrifiés, pris d’assaut par la bourgeoisie 2.0. Les populations reléguées n’auront qu’à aller voir ailleurs dans la cambrousse avoisinante s’il y est, l’urbanisme, et ses bonnes intentions « durables ». Elles pourront toujours proposer du service à la personne aux populations vieillissantes qu’on n’ose pas tuer pour boucher le trou de la Sécu.
Au pire, il veut urbaniser le monde entier en automatisant tout ce qui peut l’être au moyen de l’intelligence artificielle, pourvu qu’il en fasse le plus vaste terrain de jeu possible, où la fête pourrait, jour et nuit, battre son plein au rythme des carcasses des âmes desséchées pullulant en son sein.
Mais qu’est-ce qui rend tout cela possible ? L’aseptisation, bien sûr. Cette fausse neutralité qui va jusqu’à ériger l’assèchement en art. Cette culture de l’utile qui voudrait dissimuler sa laideur sous le rationalisme. Cette culture, probablement la souche-même du capitalisme, est multi-visages. Ce monstre d’utilitarisme, qui se donne pour mission de voir dans chacune des particules de vie une finalité qui puisse être directement profitable a ses appartements partout. Et c’est ainsi que l’art, la discipline la moins opérationnelle et la plus spirituelle, est devenue « conceptuelle ». Et voilà que le conceptuel se change en « expérimental », terme qui sert d’alibi à la dépravation la plus grasse qui soit. Celle qui fait du narcissisme de la jouissance « expérimentale » une esthétique à part entière.
 .
Oui, on a beau jeu de donner dans l’anti-modernisme. Nietzsche l’a fait bien que moi, en sondant le malaise, la fébrilité d’un monde occidental qui invente des arrière-mondes à la chaîne pour se détourner de l’impétuosité de la vie. Philippe Murray avait mis le doigt sur ce qui avait pu rendre possible le renoncement : le capitalisme et le confort de vie qu’il propose en échange de son modèle d’asservissement et d'esclavagisme industriels. Hédonisme artistique des villes, allant parfois jusqu’à se revendiquer d’intentions humanitaires, sous perfusion industrielle.
 .
Le communisme voulait inventer une communion des hommes immanente et qui se passerait du courroux de Dieu ; qui se passerait en fait de toute approbation excepté des principaux intéressés, à savoir le peuple. Les hommes. Une transcendance qui puiserait ses fondements dans la vie, la réalité, et dans le système industriel contemporain qui va avec. Le matérialisme qui se prend les pieds dans le tapis.
Henry-David Thoreau a replacé les fondements de la vie dans la transcendance de la nature : De l’épreuve humaine de l’immensité du cosmos.
 .
Christian Bobin tire peut-être le trait d’union final entre immanence et transcendance ; celui qui réconcilie l’humilité de la matière et la beauté du divin en voyant un ange passer dans le sourire malicieux d’un vieillard. Petit plaisir sacré qui n'est plus terni par la dimension reproductible et quantifiable de l’infinie vacuité d’une pensée… Industrielle.


"Comprendre" serait peut-être à appréhender comme une sorte de traduction. Là se situe probablement l'enjeu de l'enseignement : certes, délivrer une connaissance, un contenu informationnel, mais encore faire en sorte que quelqu'un puisse se le figurer, se le représenter dans son propre langage. C'est comme qui dirait la "commensurabilité".

L'enseignement implique donc de pouvoir s'adresser à quelqu'un dans son propre langage pour lui faire passer un message, ou du moins le lui rendre plus familier ; message qui a priori semblerait à des années lumières de son univers imaginatif.

Mais il y a plus. Car pour l'heure, nous n'avons fait qu'effleurer l'enjeu de l'enseignement, et pour cause, nous en sommes restés à sa signification. Mais quel est son sens ? What's the point ?

La visée existentielle de l'enseignement, et pas simplement pratico-pratique d'un agenda PISA, est d'arriver à faire entre-apercevoir la dimension ouverte de toute connaissance et de toute discipline ; d'arriver à faire concevoir l'interconnexion qui règne entre toute chose. Ainsi, un savoir n'est plus perçu comme une information s'additionnant aléatoirement à une autre, mais comme un élément qui vient s'intégrer à un écosystème existant de conception du monde. Et comment lui trouver la bonne place, à cet élément ? Au moyen du discernement.

Trouver les méthodes adaptées à chaque type de sensibilité pour intégrer à un écosystème existant sans lui faire violence de nouvelles informations. Mais pas pour en faire la collection, pour venir enrichir cet écosystème et ainsi affiner, aiguiser une conception du monde.

Ces méthodes, concrètement, regorgerons de créativité et d'imagination elles-mêmes. Ce faisant, elles rendront tout simplement réalisable l'appréhension du bon angle sous lequel des informations auront le plus de chances d'être transmises à une personne. Et c'est cet art tout particulier que l'on appelle "pédagogie".

Car l'acuité d'un regard porté sur le monde ne passe évidemment pas que par la quantité informationnelle emmagasinée ; elle passe aussi et probablement avant tout par la capacité à les explorer. C'est sur ça que "tablent" les écoles du type Montessori ou encore fondées par une Sabina Spielrein ou un Francisco Ferrer. On laisse un cadre relativement souple à l'élève pour lui donner le temps et la latitude de manœuvre dont il a besoin pour intégrer un savoir. On lui donne le temps de jouer avec le savoir, de l’ausculter sous pleins d'angles différents, de le tripoter comme on le ferait avec de la pâte à modeler pour mieux pouvoir... En faire quelque chose !

Mieux encore, parfois, on parie sur la subsistance, par delà les conditionnements éducatifs et sociaux, du bon sens et de la curiosité naturelle de l'enfant. Et c'est ce présupposé, cet axiome de base qui a foi en l'humanité qui implique toute démocratie, à l'échelle d'un pays comme d'un lieu d'apprentissage. Et pourquoi pas une école-laboratoire où le champ des possibles serait perpétuellement ouvert à toute forme de connaissance, mais encore à toute forme de connaissance en interaction ? Une université ne serait plus une institution mais un atelier immense -en réalité infini- au sein duquel les notions d'apprentissage et de réception de ce dernier ne feraient plus qu'une ; co-création perpétuelle au sein de laquelle chacun pourrait devenir tour à tour enseignant comme élève selon son degré de maîtrise, mais plus encore de passion, car elle en est la clef.

Mais où placer les limites de ce cadre en termes de rigidité ? Jusqu'où est-il non seulement efficace mais encore légitime de l'adapter à une personne ? Car bien sûr, se pose également la question de l'acquisition d'une rigueur de travail, non pas en vue d'une potentielle productivité (utilitarisme) mais d'une systématisation de la réflexion faisant d'elle un outil rigoureux. Se pose également la question d'une capacité d'adaptation à une situation, "originale" ou extrême. Oui, l'aspect "opérationnel" de tout travail, puisqu'il en recèle un... 

Alors, la rigidité d'un cadre d'apprentissage est-elle nécessaire à la bonne appréhension d'un terrain de travail difficile ? La mise en conditions doit-elle être totale ? Le distinguo ici est sans doute bon à faire entre rigidité et exigence. Il se pourrait bien qu'elles puissent se nuire l'une à l'autre, la plus grande exigence n'étant possible que vis-à-vis de ce que l'on aime, pas de ce que l'on craint. Apprendre vite présuppose de devoir travailler vite dans une société productiviste, et ainsi de suite. Telle est la tendance utilitariste qui déferle sur l'éducation nationale en ce moment, capitalisme oblige. Plus l'on durcit le cadre, plus on le rend étroit, et cela se répercutera sur une interprétation du monde. Bref, l'effectivité d'un travail s'en verra améliorée mais certainement pas son efficience. A vrai dire, il n'y a pas à choisir entre les deux. Simplement peut-être à donner le temps aux idées d'infuser dans l'esprit pour qu'un jour elles accouchent de quelque chose de plus grand, de plus beau.