"Comprendre" serait peut-être à appréhender comme une sorte de traduction. Là se situe probablement l'enjeu de l'enseignement : certes, délivrer une connaissance, un contenu informationnel, mais encore faire en sorte que quelqu'un puisse se le figurer, se le représenter dans son propre langage. C'est comme qui dirait la "commensurabilité".

L'enseignement implique donc de pouvoir s'adresser à quelqu'un dans son propre langage pour lui faire passer un message, ou du moins le lui rendre plus familier ; message qui a priori semblerait à des années lumières de son univers imaginatif.

Mais il y a plus. Car pour l'heure, nous n'avons fait qu'effleurer l'enjeu de l'enseignement, et pour cause, nous en sommes restés à sa signification. Mais quel est son sens ? What's the point ?

La visée existentielle de l'enseignement, et pas simplement pratico-pratique d'un agenda PISA, est d'arriver à faire entre-apercevoir la dimension ouverte de toute connaissance et de toute discipline ; d'arriver à faire concevoir l'interconnexion qui règne entre toute chose. Ainsi, un savoir n'est plus perçu comme une information s'additionnant aléatoirement à une autre, mais comme un élément qui vient s'intégrer à un écosystème existant de conception du monde. Et comment lui trouver la bonne place, à cet élément ? Au moyen du discernement.

Trouver les méthodes adaptées à chaque type de sensibilité pour intégrer à un écosystème existant sans lui faire violence de nouvelles informations. Mais pas pour en faire la collection, pour venir enrichir cet écosystème et ainsi affiner, aiguiser une conception du monde.

Ces méthodes, concrètement, regorgerons de créativité et d'imagination elles-mêmes. Ce faisant, elles rendront tout simplement réalisable l'appréhension du bon angle sous lequel des informations auront le plus de chances d'être transmises à une personne. Et c'est cet art tout particulier que l'on appelle "pédagogie".

Car l'acuité d'un regard porté sur le monde ne passe évidemment pas que par la quantité informationnelle emmagasinée ; elle passe aussi et probablement avant tout par la capacité à les explorer. C'est sur ça que "tablent" les écoles du type Montessori ou encore fondées par une Sabina Spielrein ou un Francisco Ferrer. On laisse un cadre relativement souple à l'élève pour lui donner le temps et la latitude de manœuvre dont il a besoin pour intégrer un savoir. On lui donne le temps de jouer avec le savoir, de l’ausculter sous pleins d'angles différents, de le tripoter comme on le ferait avec de la pâte à modeler pour mieux pouvoir... En faire quelque chose !

Mieux encore, parfois, on parie sur la subsistance, par delà les conditionnements éducatifs et sociaux, du bon sens et de la curiosité naturelle de l'enfant. Et c'est ce présupposé, cet axiome de base qui a foi en l'humanité qui implique toute démocratie, à l'échelle d'un pays comme d'un lieu d'apprentissage. Et pourquoi pas une école-laboratoire où le champ des possibles serait perpétuellement ouvert à toute forme de connaissance, mais encore à toute forme de connaissance en interaction ? Une université ne serait plus une institution mais un atelier immense -en réalité infini- au sein duquel les notions d'apprentissage et de réception de ce dernier ne feraient plus qu'une ; co-création perpétuelle au sein de laquelle chacun pourrait devenir tour à tour enseignant comme élève selon son degré de maîtrise, mais plus encore de passion, car elle en est la clef.

Mais où placer les limites de ce cadre en termes de rigidité ? Jusqu'où est-il non seulement efficace mais encore légitime de l'adapter à une personne ? Car bien sûr, se pose également la question de l'acquisition d'une rigueur de travail, non pas en vue d'une potentielle productivité (utilitarisme) mais d'une systématisation de la réflexion faisant d'elle un outil rigoureux. Se pose également la question d'une capacité d'adaptation à une situation, "originale" ou extrême. Oui, l'aspect "opérationnel" de tout travail, puisqu'il en recèle un... 

Alors, la rigidité d'un cadre d'apprentissage est-elle nécessaire à la bonne appréhension d'un terrain de travail difficile ? La mise en conditions doit-elle être totale ? Le distinguo ici est sans doute bon à faire entre rigidité et exigence. Il se pourrait bien qu'elles puissent se nuire l'une à l'autre, la plus grande exigence n'étant possible que vis-à-vis de ce que l'on aime, pas de ce que l'on craint. Apprendre vite présuppose de devoir travailler vite dans une société productiviste, et ainsi de suite. Telle est la tendance utilitariste qui déferle sur l'éducation nationale en ce moment, capitalisme oblige. Plus l'on durcit le cadre, plus on le rend étroit, et cela se répercutera sur une interprétation du monde. Bref, l'effectivité d'un travail s'en verra améliorée mais certainement pas son efficience. A vrai dire, il n'y a pas à choisir entre les deux. Simplement peut-être à donner le temps aux idées d'infuser dans l'esprit pour qu'un jour elles accouchent de quelque chose de plus grand, de plus beau.