Faire l'amour, c'est s'abandonner. Non pas à l'autre ou à la jouissance. S'abandonner tout court. C'est cette absence de contrôle de soi et ainsi de pudeur sur laquelle la pornographie repose. Elle qui la rend toujours plus brute, animale, en un mot brutale, pour mieux jouer avec la corde castratrice de la culture chrétienne, qui nous fait croire qu'on devrait renier les plaisirs de la vie incarnée : Les fameux "sept pêchés capitaux". Si c'est l'excès dans les plaisirs matériels que condamne le christianisme, une interprétation littérale et ascétique en a peut-être émergée, renforcée par l'hygiénisme puis l'aseptisation propre à la vie moderne et la standardisation qui va avec.

Mais cette dimension animale du sexe et de l'homme en général, est-elle si sale pour que nous ne puissions pas la vivre "tranquillement", sans outrance, mais aussi sans tabou ?

Le sexe est l'expression la plus explicite de la vie matérielle qui soit, en ce sens qu'il nous livre, par le truchement de la jouissance, à quelque chose qui n'émane pas de la volonté ; à l'inclination naturelle de reproduction. Alors certes, le sexe, intrinsèquement, n'est pas libre, mais pour autant, a t-on besoin de le caricaturer pour le considérer ?

Depuis des siècles, en occident, on refoule tout ce qui dans le corps peut rappeler l'animal, à savoir ses sécrétions. Les odeurs sont masquées par les parfums, les déodorants et les désodorisants, on ne montre jamais le sang, sauf cas de force majeure, sans parler des poils, considérés comme une mauvaise herbe répugnante, sauf peut-être au niveau du sexe, par souci de commodité... Pragmatisme oblige. Sans parler de l'ingratitude des pets et des rots ! Et de l'impertinence des rides. Le pire est sans doute ce qui est liquide, visqueux, n'est-ce pas : la salive, ou la semence, pénétrant subrepticement dans le vagin.

Que fait-on de la spontanéité de l'expression du corps ? Que fait-on de ses états d'être à lui ? Et ses imperfections, en sont-elles vraiment ? Où est passé cet élan du corps qui offre ses formes -fripées ou fermes, rondes ou concaves- à la volupté, cette lascivité nonchalante et naturelle que l'on trouvait encore sublimée au 19ème siècle sous les traits d'un Gustave Courbet ?

C'est comme si l'on mettait le corps tout entier en retenue, qu'on le faisait taire pour le rendre toujours moins encombrant et ce faisant, qu'on l'amenuisait. Nous oublions cependant par là qu'empêcher l'expression de la vie par le corps, c'est y répandre la mort. Pourtant, qui nous dit que nous devrions choisir entre dimension divine et dimension animale ? Non seulement elles ne se contredisent pas, mais peut-être pourrions-nous les réconcilier. Comment ? Certainement en remettant un peu de beauté dans la crispation que nous avons contracté au fil du temps. 

Il ne s'agit pas de tomber dans un discours féministe binaire qui serait lui-même standardisé, bien que celui-ci ait eu le mérite d'ouvrir des brèches de réflexion sur le rapport d'un occidental à son corps au 20/21ème siècle, et les questionnements de normes genrées qui vont avec... Non, il ne s'agit pas de remplacer une morale par un autre dogme, mais de continuer à ouvrir cette brèche du champ des possibles.

Les normes esthétiques nous castrent par une intellectualisation trop grande de ce qui doit rester du domaine de l'instinctif, de l'écoute intuitive de son propre corps. L'enjeu est d'arriver à faire à nouveau la jonction entre le corps et la beauté pour renouer avec le divin qu'il recèle. L'enjeu est de laisser là où elle est la souillure de siècles et de siècles de gloses et de pratiques tantôt obscènes, tantôt castratrices pour élever le corps loin de tout cela ; l'emporter dans cette abîme de lumière, ce lieu d'abandon et de plénitude dont parle Maître Eckart, là où l'acceptation de son véhicule terrestre et pleine et entière :

 « Regarde et, là où tu te trouves, renonce-toi. Voilà le plus haut. Sache que jamais personne ne s’est assez quitté qu’il ne trouve à se quitter davantage. Commence donc par là, meurs à la tâche : c’est là que tu trouveras la paix véritable, et nulle part ailleurs. » 

On peut assimiler les propos de ce philosophe à la notion de plénitude du vide taoïste qui imprégne cette spiritualité. A vrai dire, il ne nous parle ni plus ni moins que du lâcher-prise, et nous savons à peu près ce qu'il signifie pour l'esprit. Mais qu'en est-il pour le corps ?

Sans doute, dans nos sociétés occidentales, ne le savons-nous plus assez. 

Il s'agit peut-être de redonner au corps ses lettres de noblesse en réapprenant à le contempler tel qu'il est, comme l'on regarde droit dans les yeux. Le regarder, pour mieux l'accepter et peut-être même un jour y lire l'empreinte de Dieu dans ce monde.


Il avait une manière singulière de porter son intelligence.
Du discernement, tout le monde peut en avoir à un instant T,
une question d’arithmétique des idées, de fulgurance.
Chez lui, c'est comme si elle faisait pleinement sens.
L'intelligence transparait, transpire de ses pores.
Elle est là, sensible, incarnée, et pas que dans le regard, elle se subodore.
Toutes les folies sont créatrices. Toutes recèlent cet élan vital qui consiste à balayer d'un revers de manche les réflexes et les habitudes sclérosés. Oui, mais toutes ne sont pas bonnes à suivre. Et la question de leurs motivations est ce qui va précisément déterminer de la qualité de leur entreprise.

Il est une folie qui fait sortir des chemins tout tracés comme un enfant suivrait les pas d'un géant ; sa nature est intuitive et elle vient chantonner à l'oreille que nous sommes bien les seuls bourreaux qui nous imposons à nous-mêmes de ne pas faire ce que bon nous semble. 

Il est une folie moins douce qui guide les pas d'une bien autre manière ; à vrai dire, elle ne les guide pas du tout et fait sortir d'un cadre pour mieux emprisonner dans un autre ; celui des schémas relationnels qui, sous des dehors exotiques se répètent inlassablement comme l'obsession de pensées égotiques ; celui des névroses mal digérées qui se parent du mot d' "originalité" pour mieux dissimuler la perdition. Il s'agit somme toute d'une situation dont on essaye de s'extraire avec la dextérité d'un manchot, et à laquelle on trouve une parade plutôt qu'une issue. Cette folie ne guide pas, elle intime l'ordre de fuir, de courir où ? A sa perte, bien sûr !