"On ne parle pas la bouche pleine." C'est toujours ce que me disait maman, l'air courroucé, lorsque nous étions attablées chez des amies à elle ou lors du fameux café de 16h chez les tatis, les mamies et autres oncles d'un âge avancé. 

"On ne parle pas la bouche pleine." Avait-elle l'habitude de me glisser fermement, avec ce ton plein d'aplomb, ses yeux fixés sur mon attitude désinvolte de gamine qui s'ennuie chez les vieux. 

Un ton pris de façon volontairement théâtral devant nos hôtes pour prononcer ce mantra, toujours le même, et le poser en vérité absolue. 

Comme si ma mère se raccrochait fermement à cette vérité comme une moule affolée à son rocher. Comme si elle me la répétait pour mieux se la répéter à elle-même, s'auto-convainquant qu'il existait bien dans cette foutue vie au moins une vérité qui aurait pu tenir la route, une vérité immuable qui ne s'écroulerait pas comme un château de cartes à la première averse venue. 

Ma mère, d'un ton courroucé, le verbe haut et droite dans ses bottes m'invitait donc à en faire de même. Et cela n'était pas négociable, voyez, car pas qu'une question d'éducation, mais encore d'image. 

Oui, d'image. 

Elle qui se laissait dominer par un patriarche hautain et centré sur son unique personne, pourrait encore se targuer se faisant de sauver les maubles chez les autres. Dieu soit loué.