Elle s'était inscrite à cette sortie pour dire de sortir. Sortir, sortir, oui, il fallait sortir ! Telle était l'injonction de la société du toujours plus. Cette société où l'image et la communication priment sur le fond, et où tous les problèmes trouvent leurs solutions par le coup de baguette magique du paraître, et l'être n'a qu'à bien se tenir. 

Sortir, il fallait sortir. Sortir de sa zone de confort, sortir le soir, sortir le chien, les enfants, etc. Chercher à l'extérieur pour ne pas avoir à prendre soin de sa propre intériorité, pour ne pas avoir à se fréquenter, en somme. La belle affaire !

En ce samedi soir, tout être ayant une vie sociale décente était donc censé sortir faire la fête pour sortir la marchandise et l'artillerie lourde, et pourvu que tous les indicateurs soient au vert pour attirer dans ses filets le chaland d'un soir ou peut-être même qui sait d'une vie entière ? C'est qu'on n'était jamais à l'abri de toucher le gros lot, sur cette application aux mille expériences, aux mille opportunités !

C'est ce qu'elle fit donc, dans un élan de culpabilité,, elle la timide, elle, jamais trop extravertie, et toujours tellement incapable de mettre en scène comme il se devait ses talents, n'est-ce pas ? Sur les réseaux sociaux ou même dans cette vitrine réelle, où les gens se rencontraient comme des chiens se flairent le cul. Elle se prouverait donc, c'était décidé, pas plus tard que ce soir, qu'elle pourrait arborer, comme l'on active un pantin mécanique, son plus beau sourire agrémenté de la tenue réglementaire pailletée. 

Le rendez-vous avait lieu dans les halles de la Cartoucherie, cet immense complexe désaffecté divisé en innombrables restaurants, snacks et autres "concept stores" ; ce centre commercial pour afterworks et consommation labellisée branchouille, cantine géante dédiée à la cuisine du monde où les classes moyennes et classes aisées alentours aiment s'agglutiner, tels des essaims d'insectes sur des perchoirs, grouillants de leurs conversations sur les derniers objectifs à atteindre de leurs compagnies et start-ups respectives. 

L'endroit ressemblait en fait à un labyrinthe, avec ses dédales faiblement éclairés de tables, de chaises et de magasins étroitement juxtaposés. Les gens barbotant pour ainsi dire dans les flux de paroles des uns et des autres qui se mêlaient d'une table à l'autre. Il faut dire que les conversations allaient bon train, mais qu'elles n'avaient pas grande importance, la destination important peu à ces troupeaux d'individus, venus faire frotti-frotta dans leurs accoutrements prévus à cet effet. Délicieuse orgie culturo-sociale que voilà ! Entre personnes de bon aloi, pour sûr, c'était une affaire qui roulait. 

Mais ce labyrinthe avait aussi son propre micro-climat. En effet, non seulement les odeurs des différentes cuisines formaient un gloubi-boulga homogène qui lui était propre, mais tout y était cinq fois plus cher qu'ailleurs, le moindre carrot cake ne se trouvant à pas moins de 6.5 euros pièce minimum. Pour sûr, un événement pour le moins mystérieux avait dû frapper cet endroit pour que les prix, à l'unisson, se mettent à grimper en flèche de cette façon. Ce qui était tout autant mystérieux du reste, c'était le succès de l'endroit en question. Mais comment pouvait-on rester plus de dix minutes dans un pareil endroit ? 

- Tu ne finis pas ton Mojito, Cassandre ? La pressa gentiment de consommer sa camarade de table, un sourire inquiet suspendu à son rouge à lèvre rose fushia.

Extirpée soudainement de ses pensées, elle sirota scrupuleusement ledit breuvage avant de décliner poliment l'invitation d'en reprendre un autre, déclinant de facto aussi l'invitation à prolonger la soirée en bonne compagnie. Non, elle ne resterait pas dix minutes de plus ici, quitte à perdre des points sur son profil Frimake.