Elle habitait au rez-de-chaussée d'un immeuble d'assez haut standing. Un lotissement privé doté d'un vrai hall d'entrée et des portes de bois comme on n'en fait plus. Un hall spacieux où l'on s'affairait, où l'on s'entretenait régulièrement sur l'avenir de la résidence et le devenir des habitants de cette petite ville, tout en saupoudrant ses dires de bonnes manières, bien sûr. 

Les commérages aussi allaient bon train, sous les tilleuils et les platanes de la résidence verdoyante. Même les écoquartiers les plus tendance qui soient n'arrivaient pas à la cheville de ces étendues d'herbe généreuses piquetées de crottes de chien qui l'étaient, elles aussi. Bien sûr, pas de trame verte, bleue ou rouge et une soit-disant biodiversité préservée, mais tout de même... On respirait, dans cette résidence. 

Les cancans, oui,  allaient bon train dans cette petite communauté du tous pour un et du chacun pour soi, et l'on trouvait toujours à parloter sur les uns et les autres dans une ambiance joviale sous couvert de s'inquiéter de la santé mentale d'intel ou d'intel. C'est que l'on a toujours un prétexte à servir en partage lorsque l'on est civilisé, voyez. Précisément ce qui démarquait la racaille des cités des gens bien sous tous rapports qui logeaient ici, dans cette résidence privée avec piscine. Tous étant rangés, cela allait sans dire ; ils avaient soit une famille à charge, soit étaient retraités, ou tout au moins en couple. Et les petits jeunes ne rentrant pas dans l'une de ces trois cases étaient considérés comme des éléctrons libres qui finiraient bien par trouver un sens à leurs vies, ces pauvres enfants !

Mais elle, détonnait un peu dans le décor. Elle habitait au rez-de-chaussée et une assez grande partie de sa vie était exposée au grand jour, qu'elle le veuille ou non. A fortiori lorsqu'elle allumait cette lumière orangée, provenant d'une lampe de sel qui trônait juste à côté de la porte d'entrée donnant sur le balcon dont le vis-à-vis avec la porte d'entrée de l'immeuble était imprenable. 

Les gens ne pouvaient s'empêcher de lancer des regards furtifs ou même prolongés à travers cette porte, guettant le spectacle d'ombres chinoises qui révèlerait à coup sûr un jour des pans entiers de sa vie, ou tout au moins des détails croustillants sur cette drôle de voisine que voilà. Une qui pouvait écouter aussi bien de l'électro que de l'opéra à tout heure de la journée, et qui ne quittait son domicile que pour des absences prolongées... Avec on ne sait quel argent, d'ailleurs ! Sans parler de cette immense peinture en forme de rond accrochée au dessus de son canapé, une sorte de fresque bariolée avec des photos... Ce devait être un collage, oui. Paraît-il que l'on appelait ça "art moderne", ben voyons... L'avait-elle faite elle-même, cette toile ? Etait-elle artiste, par-dessus le marché ? Dieu seul le savait... 

De temps en temps, on l'entendait appeler son chat, sorcière des temps modernes... Probablement le seul individu avec lequel elle paraissait avoir un semblant de vie sociale, des interactions. 

Si, il y avait bien des hommes en fait, qui l'attendaient parfois à la porte de l'immeuble... C'était souvent toujours les mêmes. Elle les faisait rentrer dans son petit appartement pour les en faire ressortir 1h30 à 2h plus tard... Il ne manquerait plus qu'elle se prostitue, cette petite blonde en jupette... Car c'est souvent la manière dont elle aimait s'accoutrer, la coquine. Le coup de queue n'était jamais bien loin, n'est-ce pas ? 

Drôle de spécimen que voilà. Pourvu que l'on sache un jour ce qu'elle mannigançait, derrière son rideau pourpre. Ca mettrait un peu plus de fantaisie dans la vie des gens de cet immeuble, pour sûr. Un peu plus de beurre dans les épinards. Car la fantaisie de cette bohémienne qui était venue poser ses valises ici pour on ne sait quelle osbcure raison était à leur quotidien ce que les contes pour enfants étaient à la vie d'adultes, la jalousie en plus. 


Et c'était peut-être sa manière à elle de faire de la politique : jeter en pâture sa vie pour démontrer qu'un autre mode de vie était possible. Qu'une infinité de modes de vie étaient possibles, pourvu qu'ils ne soient pas dictés par l'argent, le conditionnement sociétal ou tout autre injonction morale.