Lorsqu'il vit débarquer Hugo aux urgences, un mélange d'orgueil, de rancoeur et de surprise vinrent se bousculer dans sa tête et dans son coeur. Il le reconnu tout de suite, malgré sa barbe assez épaisse et les rides qui commençaient à grignoter son visage. Son beau visage, son visage de premier de la classe qu'il connaissait par coeur, lui qui avait passé des heures à l'osculter assez tout seul au fond de la classe, lui le SAF, le Sans Amis Fixes comme l'appelaient ses camarades. Celui avec qui on ne voulait pas s'afficher, avec qui on ne voulait pas manger à la cantine et encore moins partager une table pendant les heures de cours habdomadaires. 

Pourquoi ? Se demandait-il sans cesse désespérément, sondant le visage d'Hugo, comme s'il aurait pu lui ressembler à force de scruter ses faits et gestes. 

Hugo était charismatique. En tout cas, pour un garçon de 13 ans, il était doté d'une assurance à la mesure de la beauté de son visage de mannequin et de ses yeux couleur de jade. Seulement, Hugo ne l'aimait pas. Depuis le premier jour, avait débarqué dans ce collège depuis sa campagne natale, il l'avait pris en grippe. Sans qu'il n'en comprenne jamais la raison. or si Hugo n'aimait pas quelqu'un, alors toute la classe suivait. Et c'est ainsi qu'il devint la risée de toute la classe, et même des autres sections de quatrième. Chaque jour suffisait sa peine et il avait droit chaque jour à une blague méchante, au vol d'un crayon ou d'une gomme ou à une insulte. Rien d'horrible, non, mais ce cumul de petites fourberies était pour ainsi dire comparable à des gouttes d'eau qui à terme, érodent la roche et ont raison d'elle. 

C'est ainsi qu'il s'était muré dans le silence, comme un ultime pare-feu contre la tristesse et cette méchanceté de tous les jours, que l'on labelliserait plus tard "harcèlement scolaire". Une labellisation un peu tardive, puisqu'il était maintenant âgé de 32 ans. Faisant ses début dans un hôpital de banlieue parisienne, jamais il n'aurait cru recroiser son bourreau, qu'il avait en effet connu dans un des collèges plublics les plus prestigieux de Paris. 

- Lucas, on a quelqu'un qui s'est ouvert l'arcade et la blessure est trop profonde pour arrêter l'hémorragie. On craint une scepticémie à termes, tu peux t'en charger maintenant, s'teuplaît ? 

Non seulement Hugo était assis dans la salle d'attente de son service, attendant patiemment qu'on vienne le chercher, mais c'était même à lui de s'en occuper ! A vrai dire, il l'avait repéré depuis déjà un moment à travers la vitre qui séparait le bureau de la salle d'attente, comme le tauréador s'enquiert du taureau déjà présent dans l'arène. Ben voyons, sa journée commençait bien, à cet apprenti-médecin. Sa carrière aussi !

A reculons, il s'avança donc vers lui pour l'inviter à le rejoindre dans son cabinet. Il était tout de même mal à l'aise, évitant de croiser son regard, mais s'aperçu bien vite que l'intéressé ne l'avait en fait pas reconnu du tout. De délectant par avance de la revanche qu'il allait prendre sur lui, il l'invita à s'installer bien confortablement sur le fauteuil d'opération, où il allait prendre soin de faire un travail de cochon et de lui recoudre l'arcade sourcillière à les manière des arracheurs de dents du 19ème siècle. Il voulait presque aposer sa marche sur le beau visage d'Hugo, la marque de la rancoeur. 

C'est alors que quelque chose se produisit lorsqu'il commença à saisir une compresse pour désinfecter la blessure, tandis qu'il pressait la chair de l'autre main pour stopper l'hémorragie. A sa grande suprise, il exécuta ses gestes comme à l'accoutumée. C'est à dire avec la plus grande précision possible, de sorte à recoudre l'arcade le plus proprement possible. Oui, on peut le dire, Lucas était devenu ce jour là un vrai médecin.