Georges vit en Suisse. Et en Suisse encore plus qu'ailleurs, être balayeur n'est pas franchement le métier dont tout le monde rêve, et encore moins que tout le monde respecte. Pas que parce que la Suisse est un paradis fiscal, aussi parce que la Suisse a cet espèce de cachet, cette estampillation "riche" aposée sur son front, cette sorte de prestige qu'elle tient aussi de son histoire, avec ce goût affirmé de l'indépendance en temps de guerre. Bref, la Suisse est chic est rebelle. Si ce n'est chic PARCE QUE rebelle. 

Georges a occupé le rôle de conseiller dans cette banque spécialisée dans la titrisation pendant une bonne vingtaine d'années, perché sur son fauteuil de cuir, comme un merle moqueur. Il en a piloté des montages financiers, il en a fait, des placements tratégiques et il en a conseillé, des investissements. Son bureau au 13ème étage d'une banque genevoise en a vu passer, des costard-cravattes ! Son bureau, au dernier étage de cette tour d'acier, cette tour d'ivoire déconnectée de la réalité du monde du travail où l'on spécule sur de l'argent qui n'existe même pas !

Et puis voilà qu'un jour, Georges voit passer sur une des nombreuses terrasses des balcons un balayeur. Un homme préposé au ménage qui, tranquillement, passe son balai tout en humant l'odeur du soir. L'homme prend le temps d'admirer la vue qui donne sur une forêt de buildings. Nous sommes dans le quartier d'affaires de Genève. Les étoiles commencent à apparaître dans le ciel qui vire au bleu foncé et c'est comme si le brouhaha de la ville se transformait en brume sonore, berçant presque les individus qu'elle abrite alors que les lumières s'allument dans les immeubles ; il peut voir ces petits soleils dorés qui s'allument un par un à travers les gigantesques baies vitrées dans une sorte d'effet de sysmétrie avec les étoiles qui piquent le ciel soyeux de leur couleur argentée comme des bijoux discrets.

 L'homme a amplement le temps de le faire, il a tout le loisir de rester le nez en l'air autant qu'il veut, sans qu'aucun client ne le relance par mail sur la pertinence de tel placement en bourse ou qu'un message d'alerte ne vienne ébranler son système nerveux. Ce qui, fut un temps, a bien failli conduire Georges jusqu'au suicide. Cet homme est libre... A sa manière.