L'unique loge du petit théâtre n'était plus en service. Mais Zophia faisait avec, et de toute façon elle n'avait pas le choix.
Zophia, c'était son pseudo, en réalité, elle s'appelait Sophia, un prénom marocain, mais elle, contrairement à sa famille, qui avait décidé de la baptiser ainsi, ne se considérait pas marocaine, mais humaine. Le "Z" de Zophia sonnait un peu loufoque, loufoque comme se spièces de théâtre, et ça lui allait bien !
Elle dépendait de ce théâtre, et ce théâtre dépendait d'elle pour survivre. C'était l'unique lieu qui avait accepté d'acceuillir son spectacle, un spectacle un peu spécial qu'elle avait eu du mal à vendre, c'est vrai...
Quoi qu'il en soit, loge ou pas loge, l'entrée en scène était imminente et elle était à la bourre. Ce soir, elle interpréterait le rôle d'un extraterrestre débarquant sur Terre pour rappeler deux/trois trucs aux humains sur la raison de leur présence ici bas, à savoir l'amour, oui, l'amour !
En attendant, il lui fallait enfiler dans les toilettes du théâtre, un costume un peu spécial, un peu délicat à passer... Un costume piqueté de morceaux d'aluminium, délicatement collés sur du tulle violet. Ce costume, elle l'avait confectionné elle-même, et l'avait voulu plutôt simple et épuré, mais tout de même avec cette excentricité qui rappelle un peu les vaisseaux spatiaux.
Les toilettes de l'arrière-scène n'étaient pas les pires qui soient, c'est dire, ils étaient même dotés d'une glace, devant laquelle, armée de sa trousse de maquillage, elle ferait son affaire.
Elle commença par le visage, ce visage un peu grignoté par les rides, sur lequel elle voulait faire une base de blanc. Le blanc pour l'aspect non-humain, le blanc pour la pureté, aussi... Bref, elle tapota rapidement l'ensemble de sa peau hâlée, rangeant pour de bon Sophia au placard !
Puis, elle saisit un pinceau qu'elle trempa dans un liquide noir pour souligner le bleu électrique de ses lentilles de contact. Electrique, oui, tel devait être le regard de cet être venu dire ses quatre vérités à l'espèce humaine...
Enfin, la touche finale, un peu de bleu sur les lèvres, mais un bleu clair, juste pour parfaire l'aspect irréel de la créature, mais aussi peut-être un peu froid, avec cette symbolique distance vis-à-vis de l'espèce humaine et de ses turpitudes primitives.
Elle était maintenant fin prête. Triomphante, elle sortit des toilettes du théâtre pour se placer bientôt derrière le rideau et se livrer à ses rituels habituels de l'avant-spectacle, que les spectateurs soient 3 ou 300, d'ailleurs. Respiration en carré, visualisation, pensées positives... Inutile de se répéter son texte dans sa tête, c'était elle qui l'avait écrit, il n'avait aucun secret pour elle.