La vitrine du Papa Gayo commençait à être passée de mode. Voilà trois semaines que Noël était passé et le sapin trônait toujours dans la vitrine défraîchie du restaurant. C'est que Guillaume, préposé au ménage, était en congés... Et n'avait pas été remplacé. Alors autant vous dire que le déblayage de ce sapin ainsi que le récurage des chiottes serait pour sa poire.
Il serait certainement payé une bouchée de pain en plus pour avoir ainsi pallié aux vides logistiques et, disons-le franchement, bugdétaires de l'établissement... Cet établissement autrefois prestigieux où les clients se déplaçaient même depuis la campagne environnante pour goûter à sa cuisine détonnante. Oui, le Papa Gayo avait été autrefois une institution de l'expérimentation culinaire mais depuis que le papa de Gaëtan avait été foudroyé par la cancer, il partait doucement à la dérive, comme un bâteau dont l'horizon était occulté par les vagues déchaînées de l'anxiété et de l'incertitude. Un bâteau somptueux dont la coque s'écaillait, dont le mât tanguait et dont les voiles se déchiraient...
Et Gaëtan, au milieu de cette épave naissante, tentant tant bien que mal, du haut de son statut de serveur, de maintenir le cap logistique de ce restaurant qui faisait partie de sa vie depuis son enfance... Une entreprise vouée à l'échec, bien sûr. Son père se refusait tout bonnement à lâcher du lest et gardait obstinément le contrôle sur chaque cm2 de ce qu'il considérait être son bébé, sa création, le projet de toute une vie... Quitte à ce que l'enseigne meurt à petit feu.
- Alors Gaëtan, pas trop dur, le début d'année ? Lança Gilles, le patron du restaurant d'en face d'un air se voulant enjoué et bienveillant.
Depuis toujours, il avait attendu de pouvoir détrôner le Papa Gayo avec un menu se voulant plus novateur que novateur. Et voilà qu'il y était enfin parvenu par la force des choses, non-content de se faire déjà des couilles en or dans cette rue passante de la ville de Toulouse.
- On fait aller, répondit Gaëtan d'un ton neutre en fermant soigneusement la porte de l'établissement derrière lui.
Non seulement il n'avait pas que ça à foutre de bavasser avec cette langue de pute, mais un sacré ménage de printemps l'attendait !
- Joyeux Noël quand même, hein ! Eu le temps de lancer Gilles avant que Gaëtan ne coupe court à la conversation.
Son Noël à lui s'était passé entre les chiottes, la salle et la cuisine, à tenter d'assurer un service optimum en dépit du manque de personnel.