Julie, aussi loin que s'en rappelait Alice, avait toujours été la première de la classe. Ou alors, à la rigueur, la deuxième, mais toujours dans le peloton de tête. Elle était aussi toujours assise sur les tables de devant, non loin du tableau. Et comme si cela ne suffisait pas, comme s'il fallait parfaire, parachever son rôle d'élève modèle, Julie avait un visage d'ange, et un sourire sur le visage en toute circontance ainsi que des cheveux lisses et soyeux qui tombaient toujours parfaitement sur ses frêles épaules de poupées.
Pour sûr, elle faisait la fierté de sa maman, qui projetait dores et déjà les nombreux fantasmes qu'elle n'avait pas pu satisfaire plus jeune : Julie, en plus de devoir collectionner les dix-huit sur vingt, devait pratiquer a minima la musique, la danse ainsi que l'anglais, disciplines requises pour aborder la vie avec la rigueur nécessaire.
Sauf que Julie avait développé quelques troubles qui contrastaient quelque peu avec son attitude cordiale de petite fille bien sous tout rapport. Son sport favori était de jouer la cheftaine dans la cour de récréation. C'était elle désormais qui descernait les bons et les mauvais points aux filles de sa section. Les plus petites n'étant pas son affaire et les plus grandes, faute de pouvoir exercer son autorité sur elles. Ce faisant, Julie avait pris l'habitude d'intervenir et même de régenter tout conflit pouvant éclater au cours des récréations. Et Dieu sait qu'elle avait le temps durant ces longues pauses d'examiner la situation de près et de poser, d'opposer un verdict et une sanction, qui étaient à tous les coups bien sûr validés par ses camarades. C'est que son statut de déléguée de la classe lui conférait aussi du crédit, vous voyez.
Les récréations devenaient ainsi le tribunal des plus petits méfaits : outrage à l'une de ses amies, larçin, si infime fut-il, comme le vol d'un bonbon, désaccord sur les règles d'un jeu, etc... Rien, rien ne passait entre les mailles du filet de son jugement et si celui-ci s'avérait être négatif, vous pouviez vous attendre à devenir une "S.A.F", autrement dit une "Sans.Amies.Fixes", condamnée à l'isolement pendant un certain temps, faute d'avoir atteint le niveau de popularité minimum pour quelqu'un accepte d'être vu dans le cour de récré en votre présence.
Et ce micro-tribunal de cette micro-société faisait d'autant plus sens que Julie travaillait aux dernières nouvelles... Dans le service ressources humaines d'une grosse boîte de cosmétiques.