Le silence et la colère. Maud était partie se réfugier dans le grenier, en compagnie des araignées et de souris en ce mercredi soir où la foudre avait frappé. Cadette d'une assez grande famille bourgeoise de trois filles, elle vivait dans un grand manoir aux abords de Vincennes. C'était dans les années 80, et le grand public avait déjà succombé en France à l'effet Agatha Christie et ses polars de gare haletant dans lesquels une jeune et frêle mariée portant des bottes jaunes (c'est toujours mieux pour donner un semblant d'originalité à l'intrigue) se faisait toujours massacrer par celui se révélant être la personne la plus proche d'elle, à savoir son propre mari. Autant dire que les faits divers faisaient déjà l'objet d'un incroyable engouement, rassurant le français moyen sur le fait qu'il y ait "pire" dans la vie, et le réconciliant avec le prosaïque de son existence. Le papa avait pour ainsi dire surfé sur la vague de la non-fiction novel, versant dans la description de l'intimité des serial-killers, saupoudrant des histoires sordides à dormir debout de quelques notions de psychologie glanées ça et là. 

En ce soir d'avril, la question de l'entrée à la Sorbonne de Maud avait à nouveau été mise sur le tapis. Il en était de l'honneur de la famille et bien sûr, de l'enjeu médiatique de la chose. Robert Dunier, désormais reconnu par le commun de la presse littéraire comme auteur à succès, ne pouvait pas laisser passer cela ; tout comme ses soeurs, Maud suivrait un cursus littéraire à la Sorbonne. Peu importe lequel, mais elle s'inscrirait dans le sillage de Sarah, Suzanne et l'écrivain et pourvu qu'elle reçoive le sceau de cette prestigieuse école. 

Or, Maud voulait devenir pompier. Oui, pompier. La petite fille était devenue ce soir adulte, claquant, au cours du repas un "non" ferme à la question de savoir si son dossier avait bel et bien été envoyé à l'établissement. Elle était tout de suite après partie s'isoler dans le grenier de la grande maison, Cendrillon moderne, à l'abri des regards emplis d'accusation et de jalousie de ses soeurs, sousmises depuis longtemps aux désidératas du papa. 

Et la prochaine fois, autant dire que ce serait pire. Elle irait jusqu'à lui décrire son odeur après la pluie, lorsqu'elle intervenait bénévolement pour les sapeur-pompiers de Paris à l'extérieur, comme cela arrivait souvent. Elle lui dicrirait -littérairement, donc- ce frisson, les sensations physiques qui la parcouraient durant ces interventions où pour une fois, elle se sentait réellement utile dans ce monde, où aider les gens d'une manière aussi matérielle et directe la délivrait du monde bourgeois et abstrait dans lequel elle marinait depuis sa naissance, la ramenant de plein-pied dans la réalité de l'humain. Oui, la prochaine fois elle lui décrirait tout cela en détails, pour lui prouver qu'elle n'était pas l'écervelée de la famille. La petite fille changée en enragée, en loup, un véritable retour aux sources.