Bertrand s'était depuis quelque temps fait pousser la barbe. Lui qui avait toujours été un tantinet obsessionnel avec tout ce qui relevait de l'hygiène du corps. Je veux dire, autant il pouvait être crado dans la tenue de son studio rue Bayard, autant on ne plaisantait pas avec l'image renvoyée : celle-ci ne devait pas trahir les multiples obsessions qui l'habitaient, sans parler de ses troubles de l'attention. Grâce à un look soigné et bien dans la tendance, inspiré des conseils que lui avaient prodigué sa petite cousine, il parvenait donc à donner le change et à paraître ce que l'on avait coutume d'appeler "normal".
Seulement, Bertrand n'était pas que pragmatique. Il était aussi hypersensible et ses derniers déboires amoureux l'avaient amené à sombrer peu à peu dans quelque addiction à la drogue et à l'alcool, ce qui avait bien sûr bouleversé toute son hygiène de vie, et son faciès avec.
Bertrand, en ce mardi matin, errait donc dans les rues de Toulouse centre, rejoignant tranquillement son nouveau dealer pour tester une came dont vous me direz des nouvelles. C'est devant le fournil de Sophie que je l'ai vu passer, la chemise dépassant à moitié de son pantalon piqueté par ailleurs de tâches de gras. Je l'ai hélé alors qu'il traversait la route. M'apercevant au loin, il se figea sur place sur le passage-piéton, s'interrogeant sur la nature de mon identité, trop défoncé pour en avoir une idée claire. Et c'est alors qu'une voiture déboula du coin de la rue, situé nénamoins à moins d'un mètre cependant dudit passage piéton. La voiture tourna à droite pour s'engager directement sur ce dernier, percutant de plein-fouet mon ami Bertrand qui, restant dubitatif quant à qui je pouvais bien être, se fit éjecter de la route comme une étincelle projetée par un chalumeau. Bref, rien ne serait jamais arrivé si je n'avais pas changé de coiffeur ce jour là.