Je vous vois, au milieu des autres, incrusté dans l'écume de la marée humaine.
Je vous vois, souriant à tout le monde. Les yeux perdus dans les méandres de l'espoir de l'interaction qui vous sauvera de la solitude. Les gens passent leur vie sur leur téléphone, pigeons en état d'alerte, prêts à saisir les miettes d'attention qu'on voudra bien leur donner pour noyer dans la masse de l'insignifiance numérique l'indicible de leurs états d'âme.
Je vous vois, souriant au petit bonheur la chance, à tout le monde, et en fait à personne. Vous n'en savez rien, mais vos yeux innocents parlent pour vous : dans très peu de temps -rien en somme à l'échelle de l'univers ou même de l'humanité- tout ce joli petit décor que vous vous êtes confectionné avec bien de la persévérance sera un lointain souvenir. Tout se désagrègera sous votre nez, et vous avec, comme l'eau s'écoulant dans l'évier entraîne les morceaux du repas de la veille dans le trou, et ce spectacle ne sera pas ragoutant pour celui qui veut couler les émotions dans le béton des habitudes. Les tuer pour mieux les immortaliser, peut-être ?
Les digues de la maison de poupée sauteront bientôt, laissant votre âme aller se dégourdir les jambes un peu plus loin et respirer quelques bouffées de liberté ; bref répit avant que l'humain que vous êtes ne reprenne ses droits et trouve une autre niche, un peu plus confortable, dans laquelle attendre la mort. Trop humain.
Vous n'en savez rien mais votre conscience le sait pour vous : vous étouffez déjà et la mue est proche. Cette mue, vous ne le savez pas encore, mais c'est la vie qui vous attend pour une autre valse. L'accompagnerez-vous ?