- Elle est pas mauvaise, votre cassolette de calamars, dites donc ! 

Il était rare que José reste dans le restaurant à cette heure de rush... Habituellement, il allait prendre un café deux rues plus loin, loin du tintamarre des clients. Mais aujourd'hui, c'était mardi, et un mardi par mois il taillait le bout de gras avec son fournisseur autour du menu du jour, qu'il lui offrait pour, disons, faciliter les négociations... Seulement, il était en retard, alors José le guettait à la fenêtre, pressé pour tout dire de terminer cette conversation de gros chiffres... 

Il faut dire que plus José approchait de la retraite, moins il avait la force de marchander. Plus de 20 ans qu'il tenait ce restaurant et il marchait toujours aussi bien, même mieux qu'avant ! Seulement, voilà. Il était fatigué. Fatigué de devoir sourire aux clients, à cet enquiquineur de grossiste aussi, qui prenait chaque fois des excuses différentes pour grapiller des centimes ; fatigué de sourire aux employés aussi, qui s'imaginaient qu'il ne savait qu'il piquait dans la caisse ! Fatigué de sa femme aussi, avec qui il devait trouver le temps de partir en week-end en Thalasso tout en continuant à faire tourner le business, bien sûr ! Heureusement qu'ils baisaient toujours bien après 35 ans de vie commune, c'est moi qui vous le dit ! 

- Merci Monsieur, répondit simplement José, las de faire la causette. Il stoppa la conversation là, profitant du retard du fournisseur pour laisser courir son regard le long des vagues à travers la baie vitrée du restaurant, à la recherche de quelque chose d'infini, en tout cas quelque chose de moins terre-à-terre que le nombre de kilo de crevettes à commander pour le mois suivant... Après tout, c'était pour cela qu'il avait ouvert ce satané restaurant, non ? Pour être avec la mer. 

- Eh bien espéront que votre évaluation sera aussi bonne que votre menu, alors ! 

- Je vous demande pardon, Monsieur ? 

José se détourna à peine de la fenêtre du restaurant -son poste d'observation- pour regarder cet homme, tiré à quatre épingles, qui mangeait seul à une table. Encore un tordu qui s'ennuyait dans la vie et qui n'avait que ça à foutre de commenter la couleur des serviettes de table ! Il avait même un calepin, ce con ! Non mais cette époque devenait folle, vraiment ! 

- Vous êtes bien le propriétaire et le gérant de ce restaurant ? 

- Aux dernières nouvelles, oui... Vous voulez aussi savoir la couleur de mon slip ou ça ira ? (Il y avait un moment déjà que José ne faisait plus dans la dentelle dans la répartie, c'était sûr...) 

- Inspection DGCCRF pour le contrôle de la qualité sanitaire, Monsieur. 

Ces mots l'avaient simplement achevé. Voilà maintenant qu'il fallait sourire à cette pute de l'Etat ! Comme si l'augmentation des impôts annuelle ne suffisait pas ! Enfin, au vu de l'air courroucé qu'affichait maintenant l'agent, ça ne servirait probablement pas à grand-chose...