L'héroine, je me dis que ça n'est peut-être pas pour rien que c'est interdit. Ce soir là j'étais faite et refaite, ouais. Une soirée au bord de la piscine, un samedi soir, le soleil de juin... Je me souviens avoir sauté dans cette piscine, l'eau était argentée, plus que cristalline, elle scintillait, comme si l'on avait fait fondre des bijoux dans cet immense bassin... Sa couleur m'a attirée, elle m'a juste hâpée. Je n'avais jamais vu pareille eau, ça c'est sûr. Une eau argentée, jamais je n'aurais cru cela possible... Et pourtant, grâce à l'héroïne, ça le devenait. Tout était sans doute plus beau, trop beau. Mes perceptions étaient peut-être déformées, mais je m'en foutais. J'ai plongé. J'ai plongé dans ce bassin et j'ai plongé dans le coma. 

I came to the conclusion that there is definitely a reason why heroin is something illegal. That evening I was in a bad state, yeah. An evening by the pool, Saturday evening, the sun of June... I remember jumping into this pool, the water was silver, more than crystal clear, it was glowing, as if we had melted jewels in this immense pool... Its color attracted me, it just captivated me. I've never seen water like this, that's for sure. Silvery water, I never would have believed it possible... And yet, thanks to heroin, it became so. Everything was undoubtedly more beautiful, too beautiful. My perceptions may have been distorted, but I didn't care. I dove into it. I dove into that pool and dove into a coma.


Je le sais parce que depuis, je vis entre deux mondes. Et lorsque je dis "je", d'ailleurs, je ne suis plus tout à fait sûre de ce que cela signifie... Quel est donc ce "je", cette substance qui fait des allers-retours entre mon corps et cet autre monde dans lequel je me trouve parfois ? Quelle est l'identité de cette chose qui parfois l'habite et y reste même enfermée et parfois s'en va explorer d'autres mondes dont Sylvia n'avait jamais eu connaissance jusqu'alors ? Est-ce bien ce que l'on appelle l'âme ? 

I know it because since then, I have been living between two worlds. And when I say "I", by the way, I'm no longer entirely sure of what it means... What is this "I", this substance which goes back and forth between my body and this other world I sometimes find myself in ? What is the identity of this thing which sometimes inhabits it and even remains locked up there and sometimes goes away to explore other worlds that Sylvia had never been aware until then ? Is this what we are used to call the soul ?


Je navigue perpétuellement entre deux mondes. Enfermée dans le corps frêle de Sylvia quand me revoilà flottant à d'autres moments. Mais flottant où, vous me direz ? Cela dépend de où est-ce que Sylvia veut aller, j'imagine... Ce va et vient entre la rigidité de la matière et ce monde où tout est plus simple est clairement déstabilisant. Est-ce donc cela, le paradis ? Peut-être pas... Dans ces lymbes, cet sorte d'éther où tout est plus léger, je croise des êtres dont je peux lire les intentions sans qu'aucun mot entre nous ne soit échangé. Leurs intentions sont plus ou moins bonnes, comme pour les humains en fait, sauf que là-bas, on ne peut pas tricher ! 

I am constantly navigating between two worlds. Locked in Sylvia's filmsy body, then I'm floating again at other times. But floating where, you would ask ? This depends on where Sylvia wants to go, I guess... This back and forth between the rigidity of matter and this world where everything is simpler is clearly disturbing, though. Is this what paradise supposed to look like ? Maybe not... In these lymbes, this sort of ether where everything is lighter, I come across beings whose intentions I can read without any words being exchanged between us. Their intentions are more or less good, as the ones of humans in fact, except over there, one can't cheat !


Parfois, j'habite le corps de Sylvia. Je ressens la couverture trop fine du lit d'hôpital sur sa peau. Les courants d'air de la porte qui s'ouvre et qui se ferme qui passent au travers, j'entends la voix du présentateur télé d'une émission de divertissement... Longtemps ils ont laissé la télé allumée pour elle, comprenant qu'il y avait des chances qu'elle puisse entendre ce qu'il se passe à l'extérieur, depuis sa coquille. Je sens glisser cette couverture sur elle lorsque les infirmières s'activent autour de son corps inanimé. Ce corps inutile qu'elles continuent pourtant à traiter aussi bien depuis des années... 

Sometimes I inhabit Sylvia's body. I feel the too-thin blanket of the hospital bed on her skin. The drafts of the door opening and closing passing through, I hear the TV presenter voice of an entertainment show... For a long time they used to leave the TV on for her, understanding that there was a chance she could hear what was going on outside, from her shell. I feel this blanket slipping over her as the nurses work around her inanimate body. This useless body that they have continued to treat so well for years...


Parfois, lassée de cette expérience terrestre si limitée, Sylvia se met en orbite pour aller visiter d'autres contrées. Je fais alors plusieurs fois le tour de la Terre comme pour dire au revoir à ma planète et la remercier. Puis je vais visiter d'autres planètes, d'autres galaxies, d'autres civilisations souvent plus évoluées... Je suis tellement curieuse de voir comment d'autres consciences peuvent vivre... C'est encore mieux que de voyager sur Terre. Parfois, ces consciences ne ressemblent à rien d'humain. C'est effrayant, mais aussi très intéressant. Et parfois, nous communiquons par télépathie. Ils me montrent leurs architectures, leurs systèmes politiques post-démocratiques, etc. Ils arrivent aussi qu'ils n'aient pas besoin de se déplacer, mais se téléportent par l'intention !

Sometimes, tired of this limited terrestrial experience, Sylvia goes into orbit to visit other countries. I then circle the Earth several times as if to say goodbye to my planet and thank it. Then I'm going to visit other planets, other galaxies, other more advanced civilizations for most of them... I'm so curious to see how other consciousnesses would live... It's even better than traveling on Earth. Sometimes these consciousnesses don't look like the human beings at all. It's scary, but also very interesting. And sometimes we communicate telepathically. They show me their architectures, their post-democratic political systems, etc. It also happens that they don't need to move, but rather teleporting by intention !


Je peux aussi, de la où je suis, contempler mes proches qui viennent me visiter, même s'ils sont de moins en moins nombreux, et qu'ils viennent de moins en moins souvent... D'autres aussi font semblant d'être tristes mais je leur pardonne, car c'est comme si, de là où je suis, plus rien n'a d'importance, pas même les émotions lourdes comme la rancoeur ou la jalousie. Sans parler du temps, qui lui n'existe plus du tout ! Je suis détachée, mais ça n'est pas comme si je m'en fichais, non... Je suis détachée, dans le sens où je suis sereine. C'est pour cela que je peux transmettre à ceux qui sont tristes pour moi ou tristes de m'avoir perdue, un peu de cette sérénité que j'ai ici, en quantité illimitée. Je ne suis pas obligée d'aller la chercher par des pratiques à la mode comme la méditation. Non, de là où je suis, je l'ai naturellement. 

I can also, from where I am, contemplate my relatives who come to visit me, even if they are less and less numerous, and come less and less often... Others also pretend to be sad but I forgive them, because it's as if, from where I am, nothing matters anymore, not even heavy emotions like resentment or jealousy. Not to mention time, which no longer exists at all ! I'm detached, but it's not like I don't care, no... I'm detached, in the sense that I am mellow. That's why I can transmit to those who are sad for me or sad to have lost me, a little of this serenity that I have here, in unlimited quantity. I don't have to seek it out through fashionable practices like meditation. No, from where I am, I have it naturally.


Et je pense qu'ils ressentent cette sérénité, car même si je lis toujours l'inquiétude sur leur visage, c'est comme si une espèce d'espoir lointain venait éclairer leur regard d'une joie un peu folle. Celle de se retrouver un jour sur Terre ou ailleurs. 

And I think they feel this serenity, because even if I always see the worry on their faces, it's as if a kind of distant hope came to light up their eyes with a slightly crazy joy. The one of refinding each other one day on Earth or elsewhere.