Anabelle avait la sensation de n'avoir que son prénom en partage. Anabelle était belle, mais c'est bien la seule chose dont elle avait hérité en ce bas-monde depuis sa naissance. Et encore, personne n'avait jamais été là pour le lui dire, car de là où elle venait, ceci était complètement tabou. 

En fait, toute chose s'apparentant à un quelconque plaisir matériel ou plaisir des yeux était proscrit, c'est pourquoi on l'avait en quelque sorte incitée depuis son plus jeune âge à cacher son corps, et à ne jamais mettre en valeur son visage d'ange. Les vêtements devaient être neutres et amples, et fait de matières "pures" et non-artificielles. Des habits ascétiques, et en rupture totale avec toute forme de luxure. Car Anabelle venait d'une secte, ou plutôt d'un "mouvement à dérive sectaire", comme on l'appelle pudiquement. Et comme dans beaucoup de mouvements de ce genre, chacun se raccroche à une vérité absolue choisie presque au hasard, pourvue qu'elle paraisse assez solide pour y placer tous ses espoirs... 

La vérité absolue qui était la figure de proue de cette secte d'où venait Anabelle était que "c'était mieux avant". Pour faire court, la modernité était l'ennemi à combattre. Il fallait un retour à tout ce qui n'avait pas fait l'objet d'une transformation par l'homme, une pureté qui, si elle ne pouvait pas être imposée à l'humanité, pouvait au moins régner sur une partie de cette dernière, et l'on aurait qu'à dire qu'elle est le peuple élu pour se consoler que le dogme ne prenne pas une ampleur qui soit à la mesure de la soif de ses initiateurs. 

Anabelle se tenait droite comme un "i" dans la cour de récréation. C'était un marid matin. Elle surveillait les petits d ematernelle dont elle avait la garde. Elle arrivait à un âge où elle pouvait être fatiguée sans crier gare par leurs turbulances. Car il lui fallait afficher une mine joviale et rassurante un peu en toutes circonstances, que ce soit avec les enfants, les parents ou même les collègues, dont l'empathie était en fait à proportion égale de leurs humeurs, leur éducation, etc

Non pas qu'elle n'aimait pas son travail, elle aimait la fraîcheur des enfants. Pour autant, on ne peut pas dire qu'elle eut choisi ce travail, car sans diplôme, on prend un peu ce qu'on a. Mais au moins, on pouvait dire qu'elle aurait pu tomber plus mal et cela lui permettait de renouer avec un semblant de spontanéité. 

Disons que parfois, ça détonnait avec d'où elle venait. Les rires des enfants se mettaient à résonner dans sa tête, lui rappelant soudainement celui de son enfant à elle, celui qu'elle ne reverrait peut-être plus jamais, car couper avec ce mouvement revenait à couper avec toutes les personnes de son entourage proche, toutes ces personnes qu'elle avait selon eux, trahies. Voilà commrent ses parents, sa meilleure amie et son mari étaient sortis de sa vie. L'enfant devait être entre de bonnes mains, et en aucun cas celles d'un impie. 

C'était maintenant l'heure du goûter. La sonnerie stridante avait retenti. Il fallait disposer les assiettes, les verres, les gâteaux et les boissons sur les petites tables rondes de la salle de classe. Anabelle, elle, n'avait pas faim du tout, comme tous les jours, d'ailleurs. Alors elle lirait une histoire aux enfants pendant le goûter pour ne ppas qu'ils la questionnent et s'aperçoivent qu'elle était incapable de manger un seul biscuit.