Etait né aujoud'hui le parti de tous les espoirs. Europe écologie les verts était le parfait produit, le parfait condensé des attentes de l'électeur de gauche moyen : une ligne sociale sans être trop révolutionnaire pour rassurer, le côté gay-friendly pour la pseudo-modernité, l'écologie comme leitmotiv pour se donner une identité. La recette était infaillible et le tour était joué ! 

En trois coups de cuiller à pot, Marine arriverait à conquérir ce territoire vaguement socialiste où le diable avait désormais élu domicile : j'ai nommé le Front National. Marine escomptait bien leur servir sur un plateau d'argent son discours bien rodé, à ces gens ignorants, en ce jour de marché à Hénin-Beaumont. Non, il ne fallait pas céder aux sirènes de l'extrême droite, de la peur et de la xénophobie, même avec un taux de chômage à 40% ! Elle allait lui expliquer, à cette brave populasse, qu'aujourd'hui samedi 21 mai, elle avait choisi le ticket gagnant en choisissant ce parti qui arriverait comme un boomerang pour bouleverser le jeu politique, une nouvelle donne oui, une version 2.0 du socialisme, la corruption en moins pour sûr. C'est que le précédent maire avait tout de même détourné pas moins de 2 millions d'euros, mine de rien, donc mieux valait-il montrer patte blanche lorsqu'on voulait faire carrière en politique et la jouer solo !

Non, vraiment, avec Europe écologie, qui arriverait un peu sur son cheval blanc dans le marasme ambiant entre escrocs et fachos, tout serait différent, elle le promettait. Elle était décidée à repeindre Hénin-Beaumont en vert et à montrer, démontrer que le méchant FN n'était pas une fatalité et que l'obscurantisme, grâce à son valeureux parti qui avait inventé l'eau chaude, pourrait être évité. 

Entourée de son armada de camarades écolos venus tout droit de Paris pour l'escorter, elle sorti ses tracts verts flashy et son plus beau sourire de vendeuse de tapis. Sous le soleil pâle du Nord de la France qui pointait son nez en ce samedi matin, elle allait faire un tabac. 

Dix ans plus tôt. La jeune Marine regarde la télé avec sa soeur et ses parents dans le grand salon de la maison, attenant à la salle à manger. Certainement pas une maison des mines, l'une des ces maisons mitoyennes sombres où l'on entend les moindres faits et agissements des voisins. Non, cette maison là était individuelle et d'une taille offrant le luxe pour elle et sa soeur de posséder chacune leur propre chambre. 

C'est que ses parents sont respectivement homéopathe et dentiste, eux dont les parents n'étaient que de simples agriculteurs ! L'échelle sociale a été gravie et ils tiennent à le faire savoir. Non pas qu'ils agissent comme des bourgeois, loin s'en faut, car cela dérogerait clairement à leurs valeurs de gauche -valeurs de tout individu éclairé ayant atteint un certain niveau social par le fruit de son éducation dirait Rousseau- mais qu'ils n'étaient pas peu fiers non plus d'avoir fait mentir les pronostics à leur sujet !

Ce soir, était un soir d'élections, justement, et les pronostics allaient bon train : Le pen, cette vieille croûte fachiste, ne passerait pas la ligne d'arrivée face à Chirac, tout le monde pouvait dormir sur ses deux oreilles ! 

Allaitée aux discours anti-extrême droite, la petite Marine regarde la télé, assise sur le fauteuil en cuir qui trône au milieu du salon, à côté de la bibliothèque. Elle regarde le débat entre un représentant du FN et du RPR ses petits verts brillants de peur, mais surtout d'excitation et d'envie. A vrai dire, elle se voit déjà en haut de l'affiche, à la place d'un des deux porte-paroles. Elle aussi pourrait un jour discourir comme cela, avec autant de bagoût, la confiance dans le regard, cette confiance nourrie par la ferveur des partisans, comme uen rock star acclamée par son public ! 

Cette confiance inébranlable lui permettant de vendre du rêve à qui mieux mieux ; oui, c'est cela qu'elle veut être, cette étoile, vendeuse de rêve mais alors une sérieuse, en costume, dont les rêves sont chiffrés, étayés à coups de statistiques et d'études bancales, peu importe en fait... Ce soir, la petite Marine a tout bonnement une révélation, emportée par l'enthousiasme de ses parents, face au duel qui s'annonce en la défaveur du FN. Mais surtout, surtout emportée par son propre enthousiasme : Après que sa famille ait gravi l'échelle sociale, ce serait à son tour de gravir une tout autre échelle, l'échelle du pouvoir.