"Cette fois-ci, c'est la bonne !" Elle le savait en son for intérieur, qu'Henri était le bon. Son âme-soeur, sa flamme-jumelle, son âme jumelle, tout ce que vous voulez ! Depuis le premier jour, elle avait senti ce lien spécial, lorsqu'il avait plongé les yeux dans les siens pour lui demander si elle n'allait pas aller acheter de la bignouze à l'épicerie du coin pour leur premier date ensemble au bord de la Garonne.
Elle se souviendrait toujours aussi de la manière dont il lui avait reluqué les fesses lorsqu'elle s'était penchée pour attraper la bouteille de Téquila qui trônait sur sa table de chevet. Des manières si attendrissantes et si... Poétiques, n'est-ce pas ? Sans parler de la douceur de ses gestes lorsqu'il avait prétexté un massage pour coller sa bite contre ses jambes. Oh oui, tous les signes avant-coureur du grand amour y étaient et c'est donc le coeur passionné qu'Alice se rendit ce jour là chez son voyant attitré, pour avoir confirmation, validation qu'avec Henri, décidément, elle avait touché le jackpot.
L'itinéraire n'avait pas changé pour arriver jusqu'au cabinet de José-Pierre. Elle devait prendre un bus qui la menait à un quartier d'une ville de banlieue lilloise. De là elle faisait quelques mètres à pieds et tombait sur une maison des mines ; une maison des mines qui ne payait pas de mine.
Mais arrivée à l'intérieur, l'émerveillement était toujours le même ; comment une maisonnette pareille pouvait abriter un si beau trésor ?
Le carrelage d'abord, qui était remarquable. Un carrelage peint orné de fleurs qui faisaient penser aux enluminures de livres pour enfants. Les moulures ensuite, qui dansaient le long des murs et qui n'étaient pas d'origine. Et enfin le cabinet lui-même, un lieu empli de livres sur tout un tas de choses que l'on aimait qualifier d'ésotérique parce qu'on les comprenait encore mal, mais qui pour José-Pierre, étaient normales, naturelles. Ces choses rythmaient son quotidien et elles se nommaient "ondes de forme", "géormétrie sacrée", "esprits de la nature", "contact avec les défunts", "magnétisme", etc. D'ailleurs, une table prévue à cet effet trônait au fond du cabinet. Il y avait aussi divers objets aux formes parfois inattendues ; sceptre africain, statue astèque, tête de biche séchée, boîte en écailles, pyramide de crystal, pendule de quartz rose... Un véritable cabinet de curiosités sur lequel Alice posait un long regard évasif, le temps que José-Pierre ne revienne après un bon quart d'heure à s'être isolé à un autre endroit de la maison. Il faisait toujours cela : il lui ouvrait la porte avec un léger sourire et un "bonjour" peu évoquateur, la regarder sans la regarder, lui disait de prendre place dans la petite salle puis s'en allait faire le vide dans sa tête, pour mieux se connecter à elle en toute neutralité, une neutralité que seul l'isolement pouvait offrir, à l'abri de tout ce qui pourrait biaiser ses perceptions extra-sensorielles.
- Alice, vous vous plantez totalement au sujet de cet homme, annonça-t-il doucement en la contemplant avec bienveillance, après avoir pris place en face d'elle. Si c'est une validation que vous étiez venue chercher, j'ai bien peur que je ne puisse pas vous la donner. Repris-t-il, d'un ton résolu.
Il n'avait jamais beosin de cartes de Tarot ou de quelque support que ce soit pour lui annoncer la couleur. Et il ne versait assurément pas non plus dans la complésance, sous des airs enjoués.