https://paulardenne.files.wordpress.com/2014/09/blockbuster_archi-modaine.pdf

Critique du livre de Paul Ardenne, personnalité passionnante du milieu de l'urbanisme actuel "Terre habitée : Humain et urbain à l'ère de la mondialisation".

"Ce livre est passionnant de par les nombreuses références qu'il mobilise pour étayer son propos ainsi que par son style d'écriture recherché. Cependant, le propos manque cruellement de nance, dans la mesure où il n'est question que de passer en revue les points négatifs de la ville contemporaine à l'heure de la mondialisation. Et pour cause, l'auteur ne se concentre que sur son aspect visuel. En tant qu’agrégé d’histoire, on peut pourtant se dire qu’il aurait été judicieux de contextualiser cette transformation qu'il fustige en faisant par exemple un parallèle entre l’architecture d’aujourd’hui et l’histoire du lieu ou du pays. Ceci est notamment vrai pour La Havane, où un éclairage géopolitique aurait sûrement permis de rendre compte processus de délabrement du bâti. Ainsi, les points positifs de l’architecture des villes ou bâtiments présentés ne sont jamais valorisés, à l'exception des stades olympiques, qui trouvent grâce aux yeux de l'auteur de par leur dimension écologique. Par ailleurs, un panorama de la topographie des lieux dont il est question aurait également apporté une meilleure compréhension de l’architecture locale étant donné que la présence de volcans, océans, sables, etc. implique un niveau de technicité architectural particulier. En effet, tout bâtiment a vocation à s’adapter aux conditions géographiques de son environnement. 

L’auteur déploie à chaque fois un argumentaire pour défendre un avis préétabli : il n’y a pas ce choix comme un Roland Barthes dans « l’Empire des signes » à propos du Japon de faire découvrir les lieux et usages au lecteur puis, dans un second temps seulement, de rendre un avis, de sorte à conférer au lecteur une certaine liberté d'interprétation. Ici, la description est imbriquée dans le jugement, car elle n'est là que pour l’appuyer, de sorte qu’elle en devienne partielle, donc partiale. Mais l’auteur semble assumer cette partialité. En effet, il se complaît dans la critique négative à coups d’utilisation massive de superlatifs et d’arguments d’autorité, avec des citations de référence certes pertinentes pour beaucoup d'entre elles, mais sans justification de leur usage. Enfin, on peut noter que l’auteur joue allègrement avec nos représentations collectives ; on pense ici à la métaphore filée de l’étron concernant le bâtiment Babinsky.

Malgré le titre de l’ouvrage « Terre habitée : humain et urbain à l’ère de la mondialisation », il manque un des aspects : l’humain. Tout au long du livre, l’urbain est décrié, mais il manque le côté humain. Où sont passés les habitants ? En effet, et ceci est paradoxal, Paul Ardenne nous parle tout au long de cet ouvrage d’un vivre-ensemble détérioré par la standardisation des mœurs qu’implique la mondialisation, mais ne se demande pas comment les Hommes qui usent de ces lieux les occupent et les appréhendent. A croire que l’urbain dicterait systématiquement sa loi aux usagers et habitants, de sorte à oublier que la notion de projet urbain a fait son entrée dans l’aménagement du territoire. Dans ce contexte, on peut se dire qu’il aurait été judicieux, à défaut d’entreprendre une étude sociologique à l’aide d’un confrère, de donner la parole aux habitants de ces cités. L'habitat est en effet indisociable du mode d'habiter, si ce n'est dans sa conception, au moins dans les faits.
Urbanisme fonctionnaliste des années 60, mouvement moderne avec ses modèles formels (architecture moderne, cité-jardin, etc.), critiqué, à juste titre, pour son réductionnisme et sa prétention à l’universalité, urbanisme gestionnaire de la période actuelle se voulant plus démocratique… Ce livre nous invite à imaginer une voie médiane, qui réinscrirait l’évolution de l’urbanisme à l’intérieur de l’histoire de la discipline en réinterrogeant sa finalité politique, mais aussi l’espace ainsi que ses connotations sociales. Et surtout en ne perdant pas de vue l’articulation essentielle entre projet social et projet spatial."