
La voiture était pleine à craquer. Elle y avait mis tout ce qu'elle avait pu, à la hâte. La plupart des affaires présentes étant pour son enfant. Pour qu'elle ne manque de rien. Elle s'était contentée la concernant de quelques vêtements et affaires de toilette. Tant pis pour ses sculptures, ses tableaux et ses bijoux, aussi... Elle était devenue une fugitive et cela passait désormais avant le fait d'être une artiste.
Il faisait très chaud et la voiture n'était pas climatisée. Le soleil commençait à se coucher et la lumière baissait. De la sueur perlait sur son front. Elle se sentait poisseuse mais s'interdisait de s'arrêter pour faire une pause. Depuis ce matin, la seule pause qu'elle avait faite était pour aller faire un rapide pipi dans la nature. Bien sûr qu'elle n'avait pas pris l'autoroute. Les caméras étaient omniprésentes. Trop risqué de s'arrêter sur le bord de la route pour le faire ou même acheter quelque chose à manger. Les restaurants et autres aires de repos ne bordaient pas la route, mais tant pis, il fallait avancer le plus loin possible, coûte que coûte. Chaque kilomètre parcouru étant une assurance de plus qu'elle s'en tireraient.
- Maman, c'est quand qu'on s'arrête ? La voix de Louison l'interrompit dans ses pensées. "J'ai envie de faire pipi et j'ai faim."
- Bientôt, ma chérie. Le soleil va bientôt se coucher !
- Mais je vais faire pipi dans ma culotte, ça fait au moins une heure que j'attends... Et en plus j'ai mal au ventre, j'ai envie de vomir...
- Je sais, tu m'a dit la même chose il y a 10 minutes. Bon, on va rechanter la chanson des tortues, ça passera plus vite !
- Mais ça fait trois fois qu'on la chante, j'en ai marre... Et puis en plus tu veux pas que je me perce les oreilles !
- Je t'ai déjà dit que tu étais trop jeune ! On attend tes dix ans, chaque chose en son temps.
- C'est pas juste, toutes mes copines ont des boucles d'oreille sauf moi... Gémit-elle en se pendant sur le siège avant.
- On va pas revenir dessus 50 fois, Louison, en plus je suis fatiguée de la route... Eloigne-toi de la banquette avant, tu me déconcentres...
Elle avait décidé de quitter la France le jour où elle avait reçu ce fameux courrier 15 minutes après l'attentat qui avait eu lieu, place de la Concorde à Paris. Un attentat qui aurait soit-disant été commis par la Russie. Elle n'avait pas cherché à comprendre et avait tout laissé en l'état chez elle. Enfin plutôt dans son ancien appartement... Mais elle avait pris soin de retirer de son compte en banque le plus d'argent qu'elle le pouvait. Avec le passage en cours à l'euro numérique, cela restait pour le moins limité. Tant pis. Sa liberté valait plus que les 10 000 euros encore présents sur son compte et qui seraient bientôt ponctionnés par l'Etat au nom de l'effort de guerre.
Son seul but était de rejoindre Gibraltar en voiture pour aller au Maroc. La trajectoire d'un clandestin africain mais en sens inverse, comme c'était ironique ! Là-bas, ce serait peut-être moins confortable et il y aurait bien sûr un décalage culturel, mais elle ne serait pas obligée de faire la guerre et avec un peu de chance, elle verrait Louison grandir.
Tous les avions avaient été bloqué au sol en France et dans d'autres pays d'Europe, dont l'Espagne. Comme pour retenir les gens en captivité, prisonniers de cette destinée funeste décidée par une poignée d'oligarques. Cela fait déjà un moment qu'elle sentait le vent tourner. Qu'elle se sentait en danger, elle, chômeuse de longue durait qui vivait librement de son art, mais aussi qu'elle voyait le ton devenir de plus en plus culpabilisateur envers les citoyens, ou plutôt le peuple, et elle savait que cela n'était qu'une question de temps avant qu'elle réagisse. Il lui avaot fallu un catalyseur, une ultime preuve pour se ranger à son intuition première, qu'elle reniait depuis des années et qui lui avait toujours fait peur : oui la France devenait une dictature. Bien qu'à y réfléchir, elle n'avait jamais été une démocratie... Jamais un seul référendum, pas même sur cette guerre, et la redistribution des richesses dont ils ne se cachaient plus de la mépriser. Tous les signaux étaient au rouge depuis bien longtemps, mais il y avait encore pire : la reconduction d'un troisième mandat d'Emmanuel Macron qui avait été faite sans vote aucun, qui lui avait enlevé tout espoir de renouveau. Ça n'était plus seulement l'injustice qui les attendait, mais l'enfer.
Il valait mieux partir avant que la police politique ne vienne la chercher. Rien ne l'empêchait plus de quitter ce logement qui pouvait être désormais réquisitionné d'une minute à l'autre.
Une voiture de Police espagnole la dépassa soudain et lui fit des appels de phare pour lui indiquer de s'arrêter sur le bas-côté. Sa respiration s'interrompit soudain, une barre fendant son estomac en l'espace d'une fraction de seconde. Elle s'arrêta donc soudainement, manquant de peu de tomber dans le ravin. Par chance elle parlait espagnol et avait un bon accent. Il ne fallait pas perdre son sang-froid. Elle essaierait de se faire passer pour une espagnole et avec un peu de chance, il ne s'agissait que d'un contrôle aléatoire et on ne lui demanderait pas ses papiers d'identité. Si le contrôle s'avérait plus conséquent, elle s'attirerait néanmoins de gros soucis dans le mesure où sa plaque d'immatriculation était fausse. La biométrie avait en effet été instaurée partout en Europe pour tracer les gens. Encore un autre signe qu'il fallait partir !
- Bonsoir Madame, dit froidement le policier en espagnol après qu'elle ait eu baissé la vitre.
- Bonsoir ! Y a-t-il un problème ? Demanda-t-elle de la façon la plus innocente et naturelle qui soit, tout en prenant soin d'imiter l'accent espagnol de sa défunte mère.
- Votre pneu est dégonflé. Il doit être crevé. Il faudrait le changer...
Face au visage de Candice qui avait soudainement changé d'expression, il reprit :
- Mais je peux vous aider, si vous voulez, vous avez un pneu de rechange dans votre coffre ? La loi stipule que vous devez en avoir un, mais nous pouvons fermer les yeux là-dessus, poursuivit-il.
Une heure plus tard, Candice reprenait le volant. Un garagiste du coin était venu lui porter un pneu, moyennant 100 euros supplémentaires. Ce serait leur première nuit à la belle étoile...