PARTIE 5

Mais pour tout dire, j'avais soif. Oui, soif. Car même si mon hôte pensait (de temps à autre) à me donner quelques miettes de gâteau, mon bec restait impitoyablement sec. Oh, j'avais bien tenté la gamelle du chien. Mon aile guérissant, j'arrivais de mieux en mieux à me traîner jusqu'à la vieille paillasse faisant office de cuisine. A vol d'oiseau, elle n'était guère pas plus qu'à 4 mètres de là... Enfin, je sentais bien que ça tirait quand même pas mal, c'est pourquoi je m'y prenais toujours à plusieurs fois pour faire l'aller-retour et achever mon voyage... 

Mais à en juger par le goût âpre de cette eau, l'homme ne devait pas la changer beaucoup. N'ayant que ça à me mettre sous le bec, je faisais avec. 

Au bout de quelques semaines, mon aile avait totalement guéri, et ça, ça n'était pas grâce à l'homme, qui s'était totalement désintéressé de moi ! Il me fallait donc me rendre à l'évidence : Il me fallait partir. Oui, mais pour aller où ? Encore que ça, j'en aurai une idée claire une fois délivré, grâce à mon magnétique sens de l'orientation ! Quoique, retrouver mes congénères ne s'avèrerait pas être une mince affaire... Non, la question qui me brûlait n'était pour l'instant pas celle-ci, mais plutôt : Comment partir ? 

L'homme n'ouvrait jamais aucune fenêtre pour aérer et c'est sans doute aussi la raison pour laquelle ça sentait le moisi. Mais j'avais remarqué que l'homme parfois lorsqu'il rentrait, marquait un large temps d'arrêt parce qu'il était ivre, s'arrêtant sur le seuil de la porte pour regagner un peu ses esprits, avant de la claquer violemment et d'enlever ses savates pour aller se coucher. Je le voyais, en ombre chinoise, de l'autre côté du couloir... Et j'avais calculé qu'il mettait 4 à 5 secondes avant de claquer cette porte, hébété qu'il était... Ce qui me laissait, à vue de bec, le temps nécessaire pour voleter vers ma nouvelle destinée.

Et c'est ce que je fis, un soir, alors que l'homme stagnait sur le pas de la porte, le regard ahuri, perdu dans le vide. Me voyant m'enfuir à grandes ailes, il tenta de me saisir par les plumes, mais ne pu rien en faire. Il brassait l'air avec ses poings, qu'il ouvrait et fermait frénétiquement, mais j'avais déjà échappé à son emprise. Certes mon aile me faisait toujours mal, mais je pouvais recommencer à voler, et surtout voler librement !