PARTIE 4

J'eus le temps, pendant ma convalescence forcée, d’observer un peu les lieux. C’était une chance que nous soyons au printemps car cette vieille bicoque ne devait pas être équipée d’un chauffage ! La tapisserie du salon, dans le dans lequel je me trouvais, était ornée de fleurs roses sur fond de marron mordoré… Elle était déchirée par endroits, grignotée par des insectes à d’autres. 

En parlant d’insectes, j’avais bien faim, car l’homme qui m’avait recueilli s’absentait souvent, et lorsqu’il revenait, il ne pensait pas toujours à me ramener un morceau de pain. Parfois, j’avais droit à un morceau de gâteau rassis, mais c’était bien rare ! L’homme, la plupart du temps, rentrait ivre, et se rivait sur le canapé pour s’y étendre de tout son long, non sans avoir balancé sa paire de gaudasses à travers la pièce. S’ensuivait alors pour toute la nuit des ronflements pour le moins sonores. C’est comme si toutes ses entrailles s’étaient donné le mot en même temps pour vibrer à l’unisson dans un seul et même son rauque et entêtant. 


Un soutien-gorge l’attendait toujours sur ce canapé défoncé gris. Toujours le même, un soutien-gorge bleu d’une taille généreuse, avec de la dentelle. L’homme ne le lâchait pas de la nuit, il le serrait même étroitement contre lui comme un doudou. Comme si en fait, ce soutien-gorge faisait office de femme ; une femme qui l’attendrait là, toute la nuit, fidèle au poste, le temps que Monsieur daigne revenir après toute une nuit de périgrinations. Le rêve de tout homme, en somme, non ? Mais nous autres, nous ne sommes pas sans fantasmes non plus, c’est pourquoi nous chantons. Nous chantons pour les libérer dans l’air, nous ne les gardons pas enfouis comme vous dans les limbes de notre fierté et de notre peur du jugement. 


Assez tard dans la matinée, j’attendais que l’homme ouvre l'œil et se réveille complètement pour lui glisser quelques piaillements dans les oreilles, histoire qu’il comprenne que son invité avait faim. Je ne voulais pas le brusquer non plus, car je savais qu’il pouvait se montrer un peu nerveux et n’avait pas envie d’avoir le bec ficelé jusqu’au lendemain matin (au mieux) ! Il me donnait donc un petit quelque chose, puis s’en allait et on ne le revoyait plus avant la fin de l’après-midi, pour “l’apéro” comme il disait, qu’il prenait avec un autre homme vraisemblablement du même âge. Alors ils trinquaient, trinquaient, trinquaient jusqu’au bout de la nuit et là, je pouvais être sûr que j’aurais droit à deux concerts nocturnes pour le prix d’un. 


Quant à mon aile, elle se rétablissait doucement. Comme par miracle, la plaie rétrécissait à vue d'œil et me faisait beaucoup moins mal. L’homme ne semblait pas y prêter plus d’attention que ça et cela m’arrangeait bien, car lorsqu’il s’ennuyait et qu’il me touchait pour regarder son état, c’était toujours d’une façon pas vraiment délicate. Il lui arrivait aussi de me parler pour me raconter des choses qui parfois n’avaient aucun sens, et dans ces moments-là, je me voyais aussi gratifié de postillons. J’attendais le jour J que mon aile soit complètement rétablie. J’avais un plan !