Il faisait chaud, ce jour là. Tellement chaud ! Nous étions arrivés tôt sur le terrain, il n'y avait pas un chat. Tout était calme, en ce dimanche matin. Nous avions les lieux pour nous tout seuls mais le soleil, lui, était bien présent et ne comptait pas nous laisser tranquilles. Il commençait à cogner... Un mois de juillet à Paris, en somme. 

Je m'étais levée très tôt. Sylvain qui d'habitude bombardait, bombardait encore plus. A peine le temps d'un échauffement de 20 minutes et nous étions déjà en conditions de match. Sylvain ne me lâchait pas. Il était exigeant, certes, mais c'était aussi un petit jeu de surrenchère entre nous. Coup droit, revers, revers, coup droit... Il me faisait cavaler, comme dans notre relation, d'ailleurs. 

Mais voilà tout, c'était pour cela que nous étions ici, après tout, performer ! Immobilisée pendant plus de cinq mois, nous en avions, du temps à rattraper, tous les deux. Du temps sur le terrain mais aussi du temps dans notre bulle de symbiose, dans notre furieux délire où les émotions se mêlaient à une tension sexuelle dans laquelle Sylvain me poussait dans mes retranchements, et où je répondais systématiquement, comme pour lui démontrer que je ne lâchais pas. Que je ne lâcherai jamais, petit bout de femme que j'étais. Corriace et à la hauteur de mes prétentions professionnelles... La force et la technique, oui, la force ET la technique. 

On m'avait bien répété qu'il ne fallait pas mêler le pro et le perso, que ça n'était pas sain, seulement, voilà... Sylvain et moi avions toujours été sur la même longueur d'ondes, même si sa technique avait toujours été moins bonne malgré le soin presque obsessionnel qu'il pouvait lui apporter. Alors que chez moi, la technique était comme une respiration, le prolongement de ma manière de bouger dans l'espace. Quelque chose de naturel qui n'était pas feint... Alors c'est tout naturellement qu'il était devenu mon entraîneur. 

Le soleil cognait mais je m'en fichait, je jouais comme si de rien n'était, avec cette même hargne qui m'avait habitée pendant des années avant cet accident de cheville. 

Je me dirigeais vers le filet pour lui mettre une râclée. Des gouttes perlaient le long de mes tempes pour aller se faufiler en dessous de mes lunettes de soleil. Sylvain, l'air de ne pas y toucher, matait mon corps luisant de sueur, ondulant à l'intérieur de ma robe de coton blanche comme l'aurait fait son sexe dans ma bouche. Il ne pouvait pas savoir que je le matais aussi, cachée derrière mes lunettes noires. Alors, j'en profitais pour faire de même. J'avais toujours eu une vue excellente et à cet instant précis, étais sûre de percevoir un tronc se dessiner sous le tissu de son short beige. L'ombre projetée par le soleil ne laissait aucun doute là-dessus... Sylvain bandait. 

Je sentis, quelques secondes plus tard, ma jambe ployer sous le mouvement de ma cheville droite lancée à toute allure. Ma jambe s'écroula littéralement dans la poussière de la terre battue. Ce moment de fantasme me fut fatal. La poudre se mélangea à mon sang, sorte de baptême ethnique imprévu... Ma cheville n'était pas guérie, mais je n'aurais échangé pour rien au monde ce moment de fantasmagorie contre une cheville intacte. Après tout, la prochaine compéttion n'aurrait lieu que dans quelques semaines, et il me suffisait juste d'être un peu plus à mon affaire pour la gagner. Cela était sans doute injuste, mais cela était un fait : Je n'avais jamais eu besoin de travailler des masses pour gagner une compétition dès lors que je le voulais. Et il n'y avait que Sylvain pour ne pas en être jaloux !