Elle avait été envoyée là-bas pour aller chercher ces chiens comme on envoie à un chien une baballe. Oui, ça ressemblait bien à cela et ça ne lui plaisait pas trop... Aller chercher des chiens en Belgique pour les revendre 10 fois plus cher... Bon, à la limite, pourquoi pas. S'il n'y avait pas eu tout le reste, ça irait. Tout le reste, oui... Pour tolérer cela, il fallait vraiment qu'elle soit dans la merde, oui... A prospecter depuis de smois sans retrouver jamais de travail... Que voulez-vous ? La dépression devait être écrite sur son front pour se faire refouler de partout comme ça ! Et pourtant, elle était toujours enjouée et joviale, même après un divorce plus que houleux. C'est bien ce qu'on demandait à une vendeuse, non ? C'est comme si ses futurs boss ne s'y trompaient pas, qu'ils flairaient en quelque sorte le désespoir et la tristesse par-delà les apparences. 

Bref, toujours est-il qu'elle avait bien sûr dû finir par accepter faute de mieux de travailler dans le chenil de son oncle, qui avait bien besoin de bras supplémentaires pour briquer la merde des cages à chiens, car la marchandise était grosse ! La compta, pas d'inquiétude là-dessus, il s'en chargeait toujours. Pour tout ce qui était affaire d'argent, bizarrement, il en avait du temps, et c'est peut-être pour cela qu'il l'avait envoyée en Belgique aller chercher ces chiots... Ces chiots qui bientôt seraient entassés dans les cages pour être rachetés en gros à prix cassés par des éleveurs ou des gérants d'animaleries de centre-ville. A prix cassés car vendus avec faux certificats de vaccination. S'il n'y avait que ça, oui... 

Et voilà que maintenant, après avoir été baby-sitter pour chiots, astiqueuse de cellules pleines de merde et vendeuse, elle deviendrait acheteuse. Acheteuse de chiots que l'on avait arrachés à leurs mères dans être sevrés en Belgique, au volant d'une camionnette immatriculée... En Belgique. Si tant est que cette plaque d'immatriculation soit une vraie, d'ailleurs ! Et il fallait aussi conduire de nuit pour se rendre dans ce fameux hangard au milieu de nulle part, sinon ça n'aurait pas été drôle, n'est-ce pas ? Oui, car la vente avait lieu à 5h du matin, avant que le soleil ne se lève et pour minimiser les chances d'être repérée... Voilà où elle en était arrivée, de concession en concession à son oncle, rodé à l'exercice depuis plus de 30 ans qu'il avait repris le chenil de son père. Rodé, oui. Tellement rodé qu'il enterrait les cadavres de chiots malades dans une fosse commune au fond de la cour comme on jette un papier dans une poubelle. Mais jusqu'où ces concessions iraient, maintenant qu'elle avait mis le doigt dans l'engrenage ? Elle qui avait commencé à travailler pour son oncle seulement 4 mois auparavant et qui en savait déjà bien trop sur les rouages de cette mafia...